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09/11/2025

Judith Wiart (un parcours d'autrice)

Malgré une nuit courte qui se lit sur ma tronche (j'ai fini d'animer un atelier d'écriture la veille à plus de 22 h), j'ai trouvé l'énergie (mais où ?) d'enregistrer une petite vidéo sur le parcours de cette autrice.
N'hésitez pas à partager la vidéo.
Making-of : pour les besoins du tournage, mon téléphone a été (délicatement) posé sur un présentoir à livre lui-même perché sur l'arbre à chat de mon bureau... pendant le filmage, mon chat menaçait de défoncer la porte.
A bientôt pour de nouveaux conseils techniques sur mon blog !
 

07/11/2025

"De quoi se compose une mauvaise réputation"

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Il arriva que Gilliatt fut surpris saignant du nez. Ceci parut grave. Un patron de barque, fort voyageur, qui avait presque fait le tour du monde, affirma que chez les Tungouses tous les sorciers saignent du nez. Quand on voit un homme saigner du nez, on sait à quoi s'en tenir. Toutefois les gens raisonnables firent remarquer que ce qui caractérise les sorciers en Tungousie peut ne point les caractériser au même degré à Guernesey.
Au Hamel, il y avait des vieilles femmes qui disaient être sûres d'avoir entendu, un matin, des hirondelles appeler Gilliatt.
Ajoutez qu'il n'était pas bon.
Un jour un pauvre homme battait un âne. L'âne n'avançait pas. Le pauvre homme lui donne quelques coups de sabots dans le ventre, et l'âne tomba. Gilliatt accourut pour relever l'âne, l'âne était mort. Gilliatt souffleta le pauvre homme.
Un autre jour, voyant un garçon descendre d'un arbre avec une couvée de petits épluque-pommiers, nouveau-nés, presque sans plumes et tout nus, Gilliatt prit cette couvée à ce garçon et poussa la méchanceté jusqu'à la reporter dans l'arbre.
Des passants lui en firent des reproches, il se borna à montrer le père et la mère épluque-pommiers qui criaient au-dessus de l'arbre et qui revenaient à leur couvée. Il avait un faible pour les oiseaux. C'est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens.
Les enfants ont pour joie de dénicher les nids de goélands dans les falaises. Ils en rapportent des quantités d'oeufs bleus, jaunes et verts avec lesquels on fait des rosaces sur les devantures des cheminées. Comme les falaises sont à pic, quelquefois le pied leur glisse, ils tombent et se tuent. Rien n'est joli comme les paravents décorés d'oeufs d'oiseaux de mer. Gilliatt ne savait qu'inventer pour faire le mal. Il grimpait, au péril de sa propre vie, dans les escarpements des roches marines, et y accrochait des bottes de foin avec de vieux chapeaux et toutes sortes d'épouvantails, afin d'empêcher les oiseaux d'y nicher, et, par conséquent, les enfants d'y aller.
C'est pourquoi Gilliatt était à peu près haï dans le pays. On le serait à moins.
 
Victor Hugo, LES TRAVAILLEURS DE LA MER, Livre Premier : De quoi se compose une mauvaise réputation

27/10/2025

"L'aventure..."

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J'écoutais, à moitié ravi, cette discussion qui m'ennuyait. Depuis que le chirurgien de marine fréquentait assidûment notre toit, l'aventure me harcelait comme une fille coquette un jeune niais de belle figure. Je reconstruisais notre hôte dans sa vie passée. Je l'imaginais à bord des grands vaisseaux célèbres et j'entendais sa voix, qui me dominait, prodiguer les encouragements d'usage aux matelots blessés. J'essayais toujours, quelques fois vainement, de le ramener vers ce passé haut en couleur. Il donnait parfois dans mon piège et s'émerveillait des images qu'il déroulait au coin du feu. Mais il concluait toujours comme mon père que l'aventure était une duperie, plus exactement une rêverie particulière, et que les professions qui paraissaient les mieux faites pour la retenir étaient les premières à la réduire à néant.
"L'aventure, disait-il, c'est un divertissement spirituel pour des commis de bureau ou des adolescents trop choyés par leurs parents."

12/10/2025

"Les anges..."

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Les anges qui, de façon générale, ne s'intéressent pas aux statistiques, n'en savent pas moins qu'il y a trois pour cent des humains (certains supposent que c'est sept pour cent) qui agissent, et c'est à cause d'eux que se produisent dans le monde tous les meilleurs évènements (et les pires !). Le reste, la majorité des gens, vivent sans accomplir aucun acte.
C'est à cette espèce rare de ceux qui agissent qu'appartenait la petite Génia Reznikova, qui avait accompli son premier acte important à l'âge de sept ans en se coupant elle-même la natte que sa mère, une personne aux idées des plus traditionnelles, avait laissé consciencieusement pousser à sa fille pour son entrée à l'école. Et c'est justement la veille de son premier jour d'école, le 31 août, que la petite Génia de sept ans avait coupé à la racine sa natte déjà tout à fait convenable.
 
(trad. Sophie Benech)
 

06/10/2025

Cliffod D. Simak

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Les étoiles erraient seules dans l'espace, se disait Enoch. La distance à laquelle elles se trouvaient, ce qu'elles étaient, pourquoi elles existaient, il n'en savait rien. C'était un autre monde - non, il faisait erreur : de nombreux autres mondes. Il y avait là-bas des peuples, sans doute de maintes sortes, un par étoile, peut-être. Et l'un de ces individus assis dans sa cuisine attendait que la cafetière bouille, que les oeufs et le jambon finissent de frire.
- Mais pourquoi avait-il demandé. Pourquoi ?
- Parce que nous aimons voyager, avait répondu Ulysses. Il nous faut un relais ici. Nous voulons faire de votre maison une station, et de vous, son gardien."
 
Au carrefour des étoiles de Clifford D.Simak (nouvelle traduction signée Pierre-Paul Durastanti)
 

24/09/2025

"Pourquoi..."

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Jogging le long de la plage havraise. Je croise plusieurs couples repliant-démontant leur cabane, le coeur lourd. Le ciel est chargé et sublime. Un pur chaos d'équinoxe. Et, je ne sais pas pourquoi, me reviennent ces quelques lignes lues récemment dans ce remarquable ouvrage (lignes qui trouvent un écho dans les statuts d'amis auteurs sur facebook évoquant la réalité des chiffres dans le paysage éditorial hexagonal) :
 
"Si vous prêtez une oreille attentive à ce qui se passe outre-Atlantique, vous le savez. Là-bas, les écrivains écrivent. Et ils le font jusqu'au bout : Asimov, Herbert, K.Dick (...) ont emmené leur machine à écrire dans la tombe...
(...) Quand une nouvelle génération d'écrivains prend son envol, aux Etats-Unis elle n'est pas seule face aux lecteurs, ni déjà un peu oubliée, grâce à des éditions régulières. Une bonne partie des auteurs des générations précédente (...) est toujours là - toujours active. Les connexions, les filiations s'établissent naturellement entre les anciens et les nouveaux. Les écoles sont durables (à tout le moins, peuvent l'être). (...)
Pourquoi certains écrivains révélés par les pulps dans les années trente continuèrent-ils d'écrire ? Parce que c'est leur boulot. Parce qu'ils gagnent leur vie avec ça.
Pourquoi en France les auteurs même importants s'effacent-ils au bout d'un moment ? Parce que ce n'est pas un boulot et qu'il est excessivement difficile de gagner sa vie en écrivant à plein temps, dans le marché contraint de l'imaginaire en francophonie."
 

18/09/2025

"Le chien de guerre et la douleur du monde"

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Nous pouvions sentir l’odeur de la chair morte ; des mains cadavériques cherchaient à nous saisir. Et d’autres encore approchaient derrière les premiers cavaliers : les choses qui couraient, mi-singes, mi-hommes, vêtus de bandelettes de cuir nouées, portant des épieux et des massues en bois, avec des dents comme des défenses. Et derrière eux venaient des guerriers au visage mince, au corps élancé, la chevelure grise flottant au vent, portant une livrée verte et blanche, sans cuirasse. Ceux-ci tenaient de grandes épées à deux mains et guidaient leurs chevaux avec leurs cuisses. Et à côté d’eux se trouvaient des démons, tout en cornes et en pustules, chevauchant des créatures monstrueuses, et il y avait des femmes aux dents limées en pointe, et des femmes avec des groins de porc, et des apparitions dont la chair semblait liquide, et des lézards géants portant des singes, et des autruches montées par des lépreux en armes, et des choses encapuchonnées qui croassaient - et nous galopions toujours, juste devant eux, tandis que Sedenko lançait un appel plaintif à Dieu, au tsar et à sainte sophie ; quant à Groot, exténué, il ne parvenait plus à conserver son allure élégante.

 

14/09/2025

"Composition française"

Achetez du Pierre Louÿs tout frais illustré par Foujita ! Arrivage des Mémoires du baron Marbot et des huit volumes, en forme de colins, de la Géographie Universelle d’Elisée Reclus. Tout est à vendre. Un vieillard remplissait son cabas de tranches de Simenon qu’il se proposait de faire gratiner, sur sa table de chevet, à la lueur d’une lampe. Ainsi, sous les ponts de Paris, coule toute la culture du monde qui attend les crues du fleuve pour se déverser dans les boîtes des bouquinistes. Baudelaire en huit saumons énormes qui luisent sous la mince pellicule de glace d’un papier transparent. Jamais nous n’aurions cru qu’il avait tant écrit, celui-là. Mais à propos de qui et sur quoi ? Impossible de le savoir car le bouquiniste-poissonnier refuse que l’on brise la couche de glace en laquelle sont conservés les saumons baudelairiens. Impossible de leur ouvrir le ventre et de manger leurs oeufs.

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17/08/2025

Soluto

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Cela fait longtemps que je n’avais pas lu un roman de plus de 500 pages aussi rapidement.
Fluidité de la narration, précision de la phrase (j’allais écrire “du trait”). Car les qualités de l’auteur Soluto sont celles du dessinateur et du peintre du même nom (voir son blog) : d’abord et avant tout un oeil, une capacité à rendre au plus juste, à restituer l’essentiel d’une situation, deux-trois personnages à l’instant T dans un lieu donné, sans surcharge psychologisante… Tout étant dans le détail.
Mais dans ce premier roman, Soluto va plus loin que de croquer des scènes, il les prolonge, il les fait résonner, il les fait s’articuler ensemble au point d’obtenir une machinerie infernale. Il raconte. Quoi ? La désintégration d’une famille. Puisque dans toute bonne narration, chaque acte a des conséquences, parfois inattendues. Souvent cruelles.
Soluto ne porte jamais de jugement moral sur ses personnages. Leurs fautes ne sont pas si gigantesques que cela, et pourtant… Chéri-Bibi prononcerait sa fameuse formule Fatalitas, Gurdjieff évoquerait l’horreur de la situation. Soluto, lui, jamais n’appuie sa narration. Simplement, il va jusqu’au bout de chacun de ses personnages. Personne n’en sort évidemment indemne.
Le style (le jeu) de Soluto ? Son refus des lourdeurs le rapproche d’un Simenon ou, plus proche de nous, d’un Pascal Garnier, m’a-t-il semblé.
Hâte de lire les nouvelles de ce même Soluto, publiées aux Editions Le Dilettante.
 
Soluto, Redites-moi des choses tendres, Editions du Rocher.