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29/11/2023

"Mais naturellement..."

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- Cesare, excuse-nous, je crois qu’hier, nous t’avons pris pour un milliardaire.
- Mais naturellement, c’est la moindre des choses ; chers amis, je serai toujours tout ce que vous voudrez, assura Silvagni en leur ouvrant les bras.
Plusieurs siècles de raffinement, des années de Légion, quelques minutes d’égarement ; l’amour des livres poussé jusqu’à en écrire ; un sens proliférant des mots superbes et des images crues, images de peintre ; une jovialité courtoise et désabusée, enracinée dans une surprenante rigueur morale, et beaucoup d’autres traits burinés par toutes sortes de macérations, composaient un personnage aristocratique et aventureux de Grand d’Italie, comme on est Grand d’Espagne, aux rides totalement dépourvues d’austérité. Il frotta l’une contre l’autre deux longues mains fines, alourdies de chevalières aux armes de diverses familles princières.
- Le vin est frais, ce matin, trop froid pour mes vieux os. Vous seriez de saints et dignes frères si vous consentiez à m’accompagner durant un verre ou deux. Jean, s’il vous plaît ? 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis
 

21/11/2023

"Ces génies du mois d'août..."

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Dieulefils était de ces génies du mois d’août qui ont du talent quand les autres sont partis. On les voit soudain peupler la ville avec fébrilité, accaparer les terrasses des cafés, les colonnes des journaux, dégorger les sucs accumulés pendant des mois de dispersion impuissante, amères cigales. Il disait : « Si je vais à l’étranger, je me ronge de ne pas parler la langue. Si je reste en France, l’ignorance de la Nature me discrédite à la campagne ; le crawl des autres m’empoisonne la mer ; leur façon de skier me rature la montagne. Dans les musées, je suis jaloux du guide. Mais, si je m’enferme dans mon atelier, je sais qu’il n’y a pas meilleur que moi. »
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

03:02 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0)

18/11/2023

PAS D'EQUERRE

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Comment, quand on est enseignante, écrire un livre sur l’école sans produire un « livre de prof » de plus, de ceux qui ne réservent aucune surprise sitôt lu leur quatrième de couverture, de ceux qui ne sont chroniqués que dans les pages « société » des journaux plutôt que dans leur supplément littéraire ?
Comment décrire un monde en voie d’effondrement (celui du lycée professionnel achevé par une réforme en cours) sans tomber dans le pédago-déclinisme, sans jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Peut-être en étant tout simplement, et avant tout, une autrice.
Judith Wiart signe donc Pas d’équerre. Recueil plus choral que ses deux précédents livres (Le jour où la dernière Clodette est morte, Les gens ne se rendent pas compte*), à la structure plus complexe même si sa lecture en reste remarquablement fluide, l’autrice, sans user d’un « nous » démagogique, emploie un « je » de plus en plus élargi. Et propose son ouvrage le plus « politique » à ce jour.
Le point de visée de l’autrice ? Croquer un monde qui meurt (à coup de « choses vues », et d’extraits de textes de réforme) à la pointe sèche, mais sans sècheresse de cœur. Son recueil, elle le dédie aux « élèves du lycée professionnel ». Et on rira, et on se laissera toucher à certaines pages, alors que nous croiserons les noms de La Fontaine** ou de Schubert.
Avec ce Pas d’équerre, Judith Wiart, capable de nous parler de stylo quatre-couleurs et de sprezzatura dans le même élan, réussit rien moins qu’un tour de force « sans en avoir l’air ». Certains appellent cela « l’élégance » ou « le style ».
 
 
Pas d’équerre de Judith Wiart, Editions Louise Bottu
** : Les lecteurs fidèles de Judith Wiart ne seront pas surpris d’apprendre que l’une de ses influences les plus importantes reste celle des auteurs moralistes du XVIIe.

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15/11/2023

"... comme Cadet Rousselle...

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Monsieur Jadis, comme Cadet Rousselle, avait trois maisons : l’une où ses enfants dormaient avec leur mère ; une autre où sa compagne dormait avec son mari ; la troisième où sa mère dormait avec son accordéon. Mais il en habitait, le plus souvent, une quatrième où tout le monde dormait avec tout le monde, car celle-ci, la seule où il disposât d’une clef, généralement pendue au tableau, était un hôtel sur le quai Voltaire où il lui arrivait de s’enfermer à double tour pour mieux poser sur les paysages de son enfance le regard d’un homme libre. 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

07/11/2023

"Si je n’avais été aussi retardé en calcul..."

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Ma mère n’avait jamais été hostile à un joli visage d’enfant dessiné par la bagarre. A la lecture des cicatrices, elle distinguait toutefois ceux qui donnent les coups de ceux qui les reçoivent et trouvais que j’appartenais trop souvent à la seconde catégorie. Si je n’avais été aussi retardé en calcul, elle m’aurait certainement fait prendre des leçons de boxe. 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

30/10/2023

"DES BLONDES POUR HOLLYWOOD"

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« La diriger [Marylin], c’était comme arracher des dents, mais quand vous en aviez fini avec elle, que vous étiez passé par les quarante ou cinquante prises, que vous aviez subi ses retards, vous vous retrouviez avec quelque chose d’unique. »
Billy Wilder
 
Marylin Monroe est morte seule, la nuit du 4 au 5 août 1962, dans sa villa de Brentwood, à l’âge de 36 ans. Quelques heures plus tard, dans les couloirs de la Columbia, on aurait entendu le producteur Harry Cohn hurler : « Trouvez-moi une autre blonde ! » En réalité, depuis des années, les studios n’avaient jamais cessé de chercher « une autre blonde ».
 
DES BLONDES POUR HOLLYWOOD / Marylin et ses doubles, d’Adrien Gombeaud
 

22/10/2023

"Le nez qui voque"

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J'ai lu, dans cet ouvrage sur le Nouveau-Québec, que Port-Burwell, où Ivugivic est née, a été traduit en français par le ministère toponymique. Ivugivic n'est plus née à Port-Burwell. J'ai hâte de voir le visage qu'elle fera quand je lui dirai qu'elle est née à HAVRE-TURQUETIL. Brillamment traduit. Ministère toponymique, brillamment traduit !
(…) Comment ce continent peut-il être français si pour être français, il faut parler français et qu'un continent ne parle pas, n'a pas de bouche ? Ce continent a une bouche, une gueule, une gueule molle de vieux loup soûl : le Saint-Laurent. Et cette gueule parle français. Hostie de comique !

Réjean Ducharme

 

01/09/2023

"Un endroit nommé la vie"

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Des années avaient passé. J’avais séjourné dans des villes grandes et savantes où on m’avait enseigné des sciences et donné des aperçus prudents sur les philosophies.
En ces endroits fiers de leur savoir, on n’avait guère entendu parler de la Maison Etincelante. Le peu que je recueillis sur elle de la bouche des conférenciers, ou que je lus dans les profondes bibliothèques, la présentait comme un banal mythe folklorique, une création d’esprits arriérés et superstitieux.
(…)
Etait-ce l’effet de mes longues contemplations devant [la maison étincelante] ? Je me sentais comme dans mon enfance au contact des miens, d’une autre sorte. Je me refusais à donner à « je » et à « moi » le sens qu’ils ont couramment. Trop de houles m’avaient traversé, et sans cesse m’avaient fait et défait, et j’y avais prêté trop d’attention pour que je me crusse « distinct ». Je ne me sentais ni unique ni à tout jamais irremplaçable. J’avais éprouvé comme tout autre la peur, la colère, la joie et la peine. En revanche, la vanité, le sentiment d’une supériorité due à mon seul « moi », le mépris m’était aussi étrangers qu’ils doivent l’être à un caillou. Mes séjours dans les villes studieuses m’avaient enrichi de connaissances, préceptes, recettes et techniques sans me rendre différent. « Je » me semblait un leurre, une illusion – au demeurant très explicable. 
 
Roger Blondel, Un endroit nommé la vie 
 

22/08/2023

Brûle-livre

- D’ici à ce que je n’aille pas travailler aujourd’hui, ni demain, que je ne remette plus jamais les pieds à la caserne, il n’y a qu’un pas.

- Mais tu vas quand même aller travailler ce soir, non ?

- Je n’ai rien décidé. Pour l’instant, j’ai une terrible envie de tout casser, de tout foutre en l’air.

- Prends la coccinelle.

- Non merci.

- Les clefs sont sur la table de nuit. J’apprécie toujours de rouler à toute allure quand je me sens comme ça. Tu pousses à cent cinquante et ça va beaucoup mieux. Des fois, je conduis toute la nuit et je reviens sans que tu t’en aperçoives. En pleine campagne, c’est l’éclate. On écrase des lapins, parfois des chiens. Prends la coccinelle.

- Non, je n’en ai pas envie, pas cette fois. Je veux me concentrer sur ce drôle de truc. Bon sang, ça me travaille. Je ne sais pas ce que c’est. Je suis horriblement malheureux, je suis dans une rogne folle et je ne sais pas pourquoi, mais on dirait que je prends du poids. Je me sens lourd. Comme si j’avais mis un tas de choses en réserve sans savoir quoi. Pour un peu, je me mettrais à lire des bouquins.

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Qu’est-ce que le feu a de si beau ? Qu’est-ce qui nous attire en lui quel que soit notre âge ? C’est le mouvement perpétuel, ce que l’homme a toujours voulu inventer sans y parvenir. Ou quelque chose d’approchant. Si on le laisse brûler, c’est pour la vie. Qu’est-ce que le feu ? Un mystère. Les savants nous servent un charabia où il est question de friction et de molécules. Mais ils ne savent pas vraiment ce qu’il en est. Sa vraie beauté réside dans le fait qu’il détruit la responsabilité et les conséquences.

Ray Bradbury, né un 22 août

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