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27/04/2024

Pollock (pas le peintre)

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Le livre avait profondément marqué [les Jewett], peut-être parce qu’ils n’avaient rien connu d’autre dans leur vie que privations et dur labeur. L’auteur, Charles Foster Winthrop III, un poète raté de Brooklyn qui s’était autrefois rêvé comme le nouveau Robert Browning, avait choisi comme moteur de l’intrigue l’insatiable désir de vengeance d’un certain colonel William Buchet contre les Nordistes, lesquels avaient mis à sac sa plantation lors de la guerre de Sécession sans même lui laisser une seule boule de coton avec laquelle se torcher le cul, et Winthrop avait truffé son récit de tous les actes de viol, de cambriolage ou encore de meurtre qu’était capable de concevoir son cerveau rongé par la syphilis et l’indignation. Pour ce vingtième roman alimentaire pondu en moins de trois ans, il avait touché trente malheureux dollars. Après avoir acquitté ses dettes auprès de ses créanciers, puis passé une heure à se choper des maladies avec la pute qui habitait de l’autre côté du couloir, il ne restait même plus à Winthrop de quoi s’acheter une miche de pain. « Bon, j’ai fait de mon mieux et c’est tout ce qu’on peut demander à un homme », confia-t-il ce soir-là à la vermine qui grouillait derrière le plâtre craquelé de sa chambre humide. Il attendit le matin puis, avec la froide détermination qu’il avait attribuée à Bloody Bill, sa création finale, le plumitif retira d’un coup de brosse les crottes de rat qui souillaient son seul costume présentable et avala suffisamment d’essence de térébenthine pour décaper la peinture d’une maison à un étage.
Quand les Jewett avaient découvert le livre dans un sac en tapisserie abandonné près d’Oxford, cela faisait presque dix-sept ans que le pauvre Winthrop moisissait dans une tombe anonyme et détrempée d’une île de l’East River, devenu à son tour une victime oubliée de l’impitoyable et capricieux monde littéraire qu’il avait jadis espéré conquérir.
 

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