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07/12/2023

"Né pour l'automne..."

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Né pour l’automne, Dieulefils offrait un visage tombant où l’accent circonflexe dominait avec une rare mélancolie. Il n’avait accueilli qu’avec un orgueil morose la commande, passée par les Beaux-Arts, d’un buste du président de la République. Que cet éminent magistrat eût différé son départ en vacances pour s’offrir à son ciseau matinal le contrariait plutôt dans ses habitudes. A l’heure où le premier citoyen de France, docilement réveillé, se débattait avec le bouton de col d’un habit de soirée incongru, s’engouffrait dans le grand cordon de la Légion d’honneur, jouait des maxillaires dans le vide en l’attendant au milieu du petit salon bleu, Dieulefils émergeait à peine d’un coma pâteux, passait une main accablée sur ses joues hirsutes, balançant encore s’il ne se recoucherait pas. A ce stade, les copains prenaient l’affaire en main – et il avait si bien compris la nécessité de cette tutelle qu’il s’était à son tour installé à l’hôtel pour ne pas risquer de lui échapper avant l’accomplissement de sa besogne officielle. Il fallait lui décaper le moral et la couenne, doser le dernier Calvados dans le premier café noir, le déposer enfin devant le palais du faubourg Saint-Honoré, hors de la zone d’influence des bistrots. Là, les pompons et les buffleteries des gardes municipaux, le crâne des huissiers au licol, l’écho de son pas dans des galeries miroitantes, lui rendaient par bouffées la dignité désinvolte de l’artiste.
- Eh bien ! Monsieur Dieulefils…
- Aujourd’hui, monsieur le Président, nous allons fignoler certains petits détails de méplats. 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis
 

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05/12/2023

Nina Allan

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Maree songea aux cités jumelles de Rigan et Seneca, honteusement détruite par le feu pendant la première semaine de la dernière guerre. La veille du bombardement, les habitants de ces villes s'étaient promenés dans les rues et bousculés dans les bars, et avaient mis la table comme tous les soirs, dans une ignorance innocente ou coupable de ce qui allait se passer.
Tout cela était absurde, évidemment, et il n'y avait pas d'envahisseurs extraterrestres. Les aliens, ce n'était qu'un jeu. Un jeu pour une nuit d'été, quand la lune est pleine et qu'on ne doute jamais qu'il y aura un lendemain.
 
 

29/11/2023

"Mais naturellement..."

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- Cesare, excuse-nous, je crois qu’hier, nous t’avons pris pour un milliardaire.
- Mais naturellement, c’est la moindre des choses ; chers amis, je serai toujours tout ce que vous voudrez, assura Silvagni en leur ouvrant les bras.
Plusieurs siècles de raffinement, des années de Légion, quelques minutes d’égarement ; l’amour des livres poussé jusqu’à en écrire ; un sens proliférant des mots superbes et des images crues, images de peintre ; une jovialité courtoise et désabusée, enracinée dans une surprenante rigueur morale, et beaucoup d’autres traits burinés par toutes sortes de macérations, composaient un personnage aristocratique et aventureux de Grand d’Italie, comme on est Grand d’Espagne, aux rides totalement dépourvues d’austérité. Il frotta l’une contre l’autre deux longues mains fines, alourdies de chevalières aux armes de diverses familles princières.
- Le vin est frais, ce matin, trop froid pour mes vieux os. Vous seriez de saints et dignes frères si vous consentiez à m’accompagner durant un verre ou deux. Jean, s’il vous plaît ? 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis
 

21/11/2023

"Ces génies du mois d'août..."

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Dieulefils était de ces génies du mois d’août qui ont du talent quand les autres sont partis. On les voit soudain peupler la ville avec fébrilité, accaparer les terrasses des cafés, les colonnes des journaux, dégorger les sucs accumulés pendant des mois de dispersion impuissante, amères cigales. Il disait : « Si je vais à l’étranger, je me ronge de ne pas parler la langue. Si je reste en France, l’ignorance de la Nature me discrédite à la campagne ; le crawl des autres m’empoisonne la mer ; leur façon de skier me rature la montagne. Dans les musées, je suis jaloux du guide. Mais, si je m’enferme dans mon atelier, je sais qu’il n’y a pas meilleur que moi. »
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

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18/11/2023

PAS D'EQUERRE

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Comment, quand on est enseignante, écrire un livre sur l’école sans produire un « livre de prof » de plus, de ceux qui ne réservent aucune surprise sitôt lu leur quatrième de couverture, de ceux qui ne sont chroniqués que dans les pages « société » des journaux plutôt que dans leur supplément littéraire ?
Comment décrire un monde en voie d’effondrement (celui du lycée professionnel achevé par une réforme en cours) sans tomber dans le pédago-déclinisme, sans jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Peut-être en étant tout simplement, et avant tout, une autrice.
Judith Wiart signe donc Pas d’équerre. Recueil plus choral que ses deux précédents livres (Le jour où la dernière Clodette est morte, Les gens ne se rendent pas compte*), à la structure plus complexe même si sa lecture en reste remarquablement fluide, l’autrice, sans user d’un « nous » démagogique, emploie un « je » de plus en plus élargi. Et propose son ouvrage le plus « politique » à ce jour.
Le point de visée de l’autrice ? Croquer un monde qui meurt (à coup de « choses vues », et d’extraits de textes de réforme) à la pointe sèche, mais sans sècheresse de cœur. Son recueil, elle le dédie aux « élèves du lycée professionnel ». Et on rira, et on se laissera toucher à certaines pages, alors que nous croiserons les noms de La Fontaine** ou de Schubert.
Avec ce Pas d’équerre, Judith Wiart, capable de nous parler de stylo quatre-couleurs et de sprezzatura dans le même élan, réussit rien moins qu’un tour de force « sans en avoir l’air ». Certains appellent cela « l’élégance » ou « le style ».
 
 
Pas d’équerre de Judith Wiart, Editions Louise Bottu
** : Les lecteurs fidèles de Judith Wiart ne seront pas surpris d’apprendre que l’une de ses influences les plus importantes reste celle des auteurs moralistes du XVIIe.

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15/11/2023

"... comme Cadet Rousselle...

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Monsieur Jadis, comme Cadet Rousselle, avait trois maisons : l’une où ses enfants dormaient avec leur mère ; une autre où sa compagne dormait avec son mari ; la troisième où sa mère dormait avec son accordéon. Mais il en habitait, le plus souvent, une quatrième où tout le monde dormait avec tout le monde, car celle-ci, la seule où il disposât d’une clef, généralement pendue au tableau, était un hôtel sur le quai Voltaire où il lui arrivait de s’enfermer à double tour pour mieux poser sur les paysages de son enfance le regard d’un homme libre. 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

07/11/2023

"Si je n’avais été aussi retardé en calcul..."

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Ma mère n’avait jamais été hostile à un joli visage d’enfant dessiné par la bagarre. A la lecture des cicatrices, elle distinguait toutefois ceux qui donnent les coups de ceux qui les reçoivent et trouvais que j’appartenais trop souvent à la seconde catégorie. Si je n’avais été aussi retardé en calcul, elle m’aurait certainement fait prendre des leçons de boxe. 
 
Antoine Blondin, Monsieur Jadis 
 

30/10/2023

"DES BLONDES POUR HOLLYWOOD"

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« La diriger [Marylin], c’était comme arracher des dents, mais quand vous en aviez fini avec elle, que vous étiez passé par les quarante ou cinquante prises, que vous aviez subi ses retards, vous vous retrouviez avec quelque chose d’unique. »
Billy Wilder
 
Marylin Monroe est morte seule, la nuit du 4 au 5 août 1962, dans sa villa de Brentwood, à l’âge de 36 ans. Quelques heures plus tard, dans les couloirs de la Columbia, on aurait entendu le producteur Harry Cohn hurler : « Trouvez-moi une autre blonde ! » En réalité, depuis des années, les studios n’avaient jamais cessé de chercher « une autre blonde ».
 
DES BLONDES POUR HOLLYWOOD / Marylin et ses doubles, d’Adrien Gombeaud
 

22/10/2023

"Le nez qui voque"

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J'ai lu, dans cet ouvrage sur le Nouveau-Québec, que Port-Burwell, où Ivugivic est née, a été traduit en français par le ministère toponymique. Ivugivic n'est plus née à Port-Burwell. J'ai hâte de voir le visage qu'elle fera quand je lui dirai qu'elle est née à HAVRE-TURQUETIL. Brillamment traduit. Ministère toponymique, brillamment traduit !
(…) Comment ce continent peut-il être français si pour être français, il faut parler français et qu'un continent ne parle pas, n'a pas de bouche ? Ce continent a une bouche, une gueule, une gueule molle de vieux loup soûl : le Saint-Laurent. Et cette gueule parle français. Hostie de comique !

Réjean Ducharme