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01/06/2020

CARTE POSTALE PRÉ-REMPLIE

sous un ciel d’un bleu parfait

ma terrasse & mon double café

buvable

face à moi

ma fille plongée dans son nouveau cahier de vacances

je mate le corbillard

les vêtus de noir

qui animent le parvis de l’église un peu plus loin

à la table d’à côté

des femmes parlent du contrôle technique de leur voiture

elles s’y connaissent visiblement plus que moi

sous mon coude

un recueil d’Apollinaire décevant

Guillaume m’aura tout fait

 

F.Houdaer

(extrait d'un recueil à paraître)

 

18/05/2020

L'invitation

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Chez lui, l’ordre régnait. Sitôt entrée, j’ai repéré, sur la table basse de son salon, mes différents ouvrages alignés. Tous fendus par le milieu d’un signet beige. Il me les a montrés du doigt, comme s’il ne les avait pas suffisamment mis en évidence. Il m’a invitée à m’asseoir, m’a demandé si je voulais boire quelque chose pour accompagner les quelques bretzels qu’il avait disposés au fond d’un bol. Je lui ai demandé ce qu’il avait.

– Que du Perrier.

C’était parfait, j’aimais l’eau et les bulles.

Il ne s’est pas levé tout de suite, il avait autre chose à me demander. Acceptais-je d’écouter quelques uns de ses propres textes ?

J’ai acquiescé et pris un bretzel. Mon hôte s’est mis en mouvement. Il s’est redressé, a quitté la pièce, est revenu avec une pochette jaune sous le bras. Épaisse.

– Mes textes

J’avais soif. Le stick salé avait irrité le fond de ma gorge. Je lui ai rappelé mon / notre Perrier. Il a souri, est allé chercher deux verres et la bouteille mais il ne nous a pas servis. Il a tout de suite commencé à lire un premier texte. Long. Au troisième, j’ai décidé de remplir moi-même mon verre.

J’étais venue chez lui pour que l’on parle du projet qui se montait dans la bibliothèque où il travaillait. Aux dernières nouvelles, il avait réussi à convaincre ses collègues et sa directrice de lâcher un mini budget pour une double lecture poétique. J’allais partager le micro avec Machin, un poète qui, à défaut de me bouleverser, m’inspirait un certain respect. Où en était ce projet ?

Le fonctionnement d’une bibliothèque municipale ressemblait parfois à une usine à gaz. La décision finale avait-elle été prise ? Une date décidée pour de bon ?

J’ai senti un malaise chez mon hôte. Je me suis mise à tousser. Toujours ce fichu bretzel. Il m’a demandé si je voulais boire autre chose, je lui ai rappelé qu’il n’avait que du Perrier. J’attendais la suite

– J’ai fait une erreur.

À ces mots, j’ai su que c’était mort. J’ai voulu le contredire, lui dire qu’il avait fait de son mieux quand sa précision est tombée.

– J’ai viré Machin du programme, je l’ai remplacé.

Je n’ai pas osé demander par qui ? Il s’est resservi en Perrier, a vidé la bouteille.

– Mes collègues ne l’ont pas bien pris. Je vous dis les choses honnêtement, ma chère, ils n’ont pas supporté que je veuille lire mes textes à vos côtés. Pour eux, je ne suis que l’un des leurs, pas un poète. Je n’ai pas le droit de me positionner comme poète sur mon lieu de travail. J’ai voulu forcer un peu leur décision, ils se sont braqués. Ils ont tout annulé.

Le consoler ? J’ai pensé au café qui se trouvait en bas de chez lui. Et si on y descendait pour se changer les idées ?

Il a prononcé une réponse inaudible. Devant mon absence de réaction, il l’a répétée…

– Parfois, on croit bien faire.

… puis il m’a proposé de finir les bretzels avant de quitter les lieux.

 

F.Houdaer

 

12/05/2020

"...longtemps fait partie..."

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Il y a ceux qui ne voient qu’une partie, qu’une toute petite partie du spectre. Et ceux-là en voient rarement, des spectres.

J’ai longtemps fait partie de cette catégorie d’individus. Puis, peu à peu, quelque chose s’est ouvert. Cela avait sûrement à voir avec mes premiers bricolages tardifs en poésie. Je me suis rendu compte que mon calendrier, dans son entièreté, était faux. J’ai écrit un recueil qui parlait de ça : des mensonges des dates et des heures… des murs que l’on nie puis que l’on traverse… des cloisons entre les morts et les vivants qui ne sont jamais étanches. J’ai appris à manier quelques outils aussi discrets qu’efficaces. J’ai surmonté ma répugnance vis-à-vis de toute méthode, bref… j’ai donné dans la magie. Grise.

J’ai gravi, j’ai cru gravir une marche. C’était une marche à la con. Je ne devrais pas la qualifier ainsi ; elle m’a permis de hausser mon point de vue de quelques centimètres, d’élargir mon champ de vision… mais le piège – encore un – était bel et bien réel. Comme disait l’Autre : laissez les morts enterrer leurs morts.

Maintenant ? J’ai rendez-vous avec quelques vivants. Nous avons un dessin en commun à tracer. Chacun amènera ses feutres.

F.Houdaer

 

05/05/2020

Un peu de V.H.S. dans les oreilles...

– Non, mais… Parce que tes références musicales, là, elles sont un peu-beaucoup datées…

– Bien sûr. C’est un peu-beaucoup comme ce que j’écris, en ce moment.

– Comment tu peux en être aussi sûr ?

– Parce que j’y travaille.

 

 

 

28/04/2020

AUTO-PROPHÉTIE

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une mère fait des pieds et des mains

pour récupérer la garde de ses enfants

tandis qu’un satellite de la Nasa

s’abime dans le pacifique peu après son lancement

qu’une guerre des clans est relancée dans un parti minoritaire

que les gardiens d’un gymnase se mettent en grève

non loin de chez moi

et

et ?

et j’ai du mal à comprendre que personne

n’en ait rien à foutre de mon dernier recueil

pourtant écrit dans une langue intelligible de tous

me vient l’idée de jouer du cutter

de désosser mes livres déjà parus

pour vendre mes poèmes un par un

histoire de me faire une marge plus importante

 

(extrait d'un recueil à paraître)

 

07:29 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nasa

20/04/2020

En 2019 (poème pas si vieux bien que daté)

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dans le local S.A.V. de la F.N.A.C.

j’attends mon tour en

parcourant une affichette couverte

d’un maximum de dessins et d’un minimum de mots

réagir en cas d’attaque terroriste

je ramène un article récemment acheté

un lecteur C.D et cassette

vite tombé en panne

je le confie aux bons soins d’un jeune gars incrédule

il peine à croire que j’ai pu trouver une vieillerie pareille

dans son magasin

j’ai 49 ans

à mon âge

Rimbaud était déjà unijambiste

et mort

Johnny Cash avait demandé la main de sa June sur une scène londonienne

Bukowski continuait de boire

convaincu qu’il n’en aurait plus pour longtemps

ce en quoi il se trompait

 

(extrait d'un recueil à paraître)

 

13/04/2020

Un jeudi soir

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ils sont censés lui rendre hommage

ils se sont réunis pour l’occasion dans la plus belle librairie de la ville

chacun a attendu son tour pour causer

personne n’a coupé la parole à son voisin ou à sa voisine

on était entre personnes polies

et bien intentionnées

ce que n’avait pas toujours été le cher disparu

une critique littéraire qui l’avait connu s’est exprimée la première

a parlé d’une certaine poésie chez lui

puis s’est excusée d’employer ce terme

a précisé qu’elle ne lisait jamais de poésie

personne n’a sursauté

personne n’a tiqué dans le public quand elle a avoué cela

le fantôme de l’ami trop tôt parti n’est pas apparu

pour lui tirer les oreilles

ou lui botter le cul

la soirée a suivi son cours tranquille

trop tranquille

pour quelle raison

pour qui s’étaient-ils tous réunis de la sorte ?

pour Pierre Autin-Grenier ?

nous étions-nous vraiment retrouvés

pour évoquer l’auteur des Radis bleus ?

n’avaient-ils pas d’autres choses à partager

que ce chapelet d’anecdotes répétitives

qu’ils dévidaient à tour de rôle

où il n’était question que de salons du livre ennuyeux

au cours desquels ils avaient vu

notre ami à l’œuvre

les pauvres

ils étaient tellement incapables de magie

même dans leur façon de raconter

le seul à se démarquer de cette bande a été Thomas

le plus jeune

il n’avait jamais rencontré Pierre de son vivant

mais avait noué avec lui une correspondance

il a été celui qui en a parlé le mieux

même si j’ai regretté que ses interventions n’aient pas été plus nombreuses

je suis sorti des lieux avant la fin

l’air était étrangement doux pour une fin novembre

la nuit avait préservé les couleurs des façades

certaines couleurs de certaines façades

j’ai attendu Thomas sur le trottoir

devant la librairie

puisque je l’hébergeais le soir même

il n’a pas voulu dîner avec les autres

nous avons gravi ensemble la colline de la Croix-Rousse

au sommet de laquelle j’habitais

arrivés chez moi

nous avons éprouvé le besoin de comparer nos versions de cette soirée

qu’avions-nous réellement vu

entendu ?

subi ?

comment cela avait-il pu être raté à ce point ?

de fil en aiguille

nous avons parlé du reste de nos vies

et nous sommes interdit de mourir

afin que jamais

un pareil hommage puisse nous être rendu

 

(extrait d'un recueil à paraître)

 

11/04/2020

Tranches de confinement

(…)

Hésiter à entamer un « journal de confinement » par pur snobisme. Sous prétexte que d’autres, et en nombre, s’y sont collés avant moi.

Grande Poste Centrale de la X-Rousse. Devant les machines à affranchir, une femme masquée/gantée se retrouve sans stylo pour remplir un papier et est contrainte de m’en emprunter un. Elle le désinfecte deux fois : en le prenant et en me le rendant à bout de bras. Nous sommes au bord du fou-rire.

Apprendre, par Grégoire, le décès de Limonov. Tout le monde s’en fout. Il n’est pas mort du Covid 19, et c’était un « salaud ». Une pensée pour tous ces salons du livre qui ont déroulé le tapis rouge à Carrère, son biographe, et qui n’auraient jamais invité un auteur comme Limonov.

Revoir « L’ange exterminateur » (LE film sur le confinement). Devant les images de Bunuel, m’effondrer de sommeil. Revenir à moi pour ôter mes lunettes de mon nez tandis qu’un personnage à l’écran fait de même.

Echange improbable de SMS avec mon éditeur parisien. La conclusion de « Monsieur Le Dilettante » : « Soyons fatalistes ». En langage parisien, que veut dire « fataliste » ?

Poursuivre l’animation d’ateliers d'écriture depuis ma cuisine, grâce à certains outils récemment apprivoisés. Cela fait un an que je m’occupe tous les mercredi après-midi d’un atelier "Ados" loin, très loin du milieu scolaire. Que des volontaires, donc. La semaine précédente, elles ont "toutes" (dix filles pour deux garçons) fait mourir leur personnage principal. Aujourd'hui, il n'en a rien été. Je n'en tire aucune conclusion… mais cela me réconforte. Elles ont laissé à leur personnage le temps d'une prise de conscience, au travers trois époques ramassées (avant, pendant et après le confinement). Des lignes ont bougé.

(…)

  

 

06/04/2020

C.Q.F.D.

les scientifiques travaillent

des années durant

avant d’oser émettre

du bout des lèvres

avec toutes les précautions

les guillemets

les pincettes d’usage

l’hypothèse que

peut-être

le temps n’existe pas

n’importe quel artiste

un temps soit peu affuté

a pu s’en convaincre en l’espace

d’une après-midi

qui n’existe pas

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(extrait d'un recueil à paraître)