08/06/2020
Efforts facebookiens
- Et là, pour ma nouvelle photo de profil, j'ai essayé le filtre "yeux de biche" avec l'effet "mèche de Bruno Doucey"...
- Oui...
- Et puis torse nu, aussi… C'est important, le torse nu, quand c'est encore jouable à quarante ans...
- Très bien, oui...
- Et bien, tu sais quoi… Ca a rien changé. RIEN. Mon dernier texte a tourné à cinq lïkes, comme d'hab'. Mais qu'est-ce qu'il leur faut, QU'EST-CE QU'IL LEUR FAUT ?!
- Tu devrais pas...
- Je sais, tout ça c'est dans ma tête.
- Et à part ça, ta femme, tes gosses ? Ils te l'ont rendu, ton bureau ? C'est important, un bureau. Même pour pleurer...
13:37 Publié dans a.2) MES TEXTES, Compile Face-Bouquienne | Lien permanent | Commentaires (1)
01/06/2020
CARTE POSTALE PRÉ-REMPLIE
sous un ciel d’un bleu parfait
ma terrasse & mon double café
buvable
face à moi
ma fille plongée dans son nouveau cahier de vacances
je mate le corbillard
les vêtus de noir
qui animent le parvis de l’église un peu plus loin
à la table d’à côté
des femmes parlent du contrôle technique de leur voiture
elles s’y connaissent visiblement plus que moi
sous mon coude
un recueil d’Apollinaire décevant
Guillaume m’aura tout fait
F.Houdaer
(extrait d'un recueil à paraître)
04:22 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : apollinaire
18/05/2020
L'invitation
Chez lui, l’ordre régnait. Sitôt entrée, j’ai repéré, sur la table basse de son salon, mes différents ouvrages alignés. Tous fendus par le milieu d’un signet beige. Il me les a montrés du doigt, comme s’il ne les avait pas suffisamment mis en évidence. Il m’a invitée à m’asseoir, m’a demandé si je voulais boire quelque chose pour accompagner les quelques bretzels qu’il avait disposés au fond d’un bol. Je lui ai demandé ce qu’il avait.
– Que du Perrier.
C’était parfait, j’aimais l’eau et les bulles.
Il ne s’est pas levé tout de suite, il avait autre chose à me demander. Acceptais-je d’écouter quelques uns de ses propres textes ?
J’ai acquiescé et pris un bretzel. Mon hôte s’est mis en mouvement. Il s’est redressé, a quitté la pièce, est revenu avec une pochette jaune sous le bras. Épaisse.
– Mes textes
J’avais soif. Le stick salé avait irrité le fond de ma gorge. Je lui ai rappelé mon / notre Perrier. Il a souri, est allé chercher deux verres et la bouteille mais il ne nous a pas servis. Il a tout de suite commencé à lire un premier texte. Long. Au troisième, j’ai décidé de remplir moi-même mon verre.
J’étais venue chez lui pour que l’on parle du projet qui se montait dans la bibliothèque où il travaillait. Aux dernières nouvelles, il avait réussi à convaincre ses collègues et sa directrice de lâcher un mini budget pour une double lecture poétique. J’allais partager le micro avec Machin, un poète qui, à défaut de me bouleverser, m’inspirait un certain respect. Où en était ce projet ?
Le fonctionnement d’une bibliothèque municipale ressemblait parfois à une usine à gaz. La décision finale avait-elle été prise ? Une date décidée pour de bon ?
J’ai senti un malaise chez mon hôte. Je me suis mise à tousser. Toujours ce fichu bretzel. Il m’a demandé si je voulais boire autre chose, je lui ai rappelé qu’il n’avait que du Perrier. J’attendais la suite
– J’ai fait une erreur.
À ces mots, j’ai su que c’était mort. J’ai voulu le contredire, lui dire qu’il avait fait de son mieux quand sa précision est tombée.
– J’ai viré Machin du programme, je l’ai remplacé.
Je n’ai pas osé demander par qui ? Il s’est resservi en Perrier, a vidé la bouteille.
– Mes collègues ne l’ont pas bien pris. Je vous dis les choses honnêtement, ma chère, ils n’ont pas supporté que je veuille lire mes textes à vos côtés. Pour eux, je ne suis que l’un des leurs, pas un poète. Je n’ai pas le droit de me positionner comme poète sur mon lieu de travail. J’ai voulu forcer un peu leur décision, ils se sont braqués. Ils ont tout annulé.
Le consoler ? J’ai pensé au café qui se trouvait en bas de chez lui. Et si on y descendait pour se changer les idées ?
Il a prononcé une réponse inaudible. Devant mon absence de réaction, il l’a répétée…
– Parfois, on croit bien faire.
… puis il m’a proposé de finir les bretzels avant de quitter les lieux.
F.Houdaer
04:10 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0)
12/05/2020
"...longtemps fait partie..."
Il y a ceux qui ne voient qu’une partie, qu’une toute petite partie du spectre. Et ceux-là en voient rarement, des spectres.
J’ai longtemps fait partie de cette catégorie d’individus. Puis, peu à peu, quelque chose s’est ouvert. Cela avait sûrement à voir avec mes premiers bricolages tardifs en poésie. Je me suis rendu compte que mon calendrier, dans son entièreté, était faux. J’ai écrit un recueil qui parlait de ça : des mensonges des dates et des heures… des murs que l’on nie puis que l’on traverse… des cloisons entre les morts et les vivants qui ne sont jamais étanches. J’ai appris à manier quelques outils aussi discrets qu’efficaces. J’ai surmonté ma répugnance vis-à-vis de toute méthode, bref… j’ai donné dans la magie. Grise.
J’ai gravi, j’ai cru gravir une marche. C’était une marche à la con. Je ne devrais pas la qualifier ainsi ; elle m’a permis de hausser mon point de vue de quelques centimètres, d’élargir mon champ de vision… mais le piège – encore un – était bel et bien réel. Comme disait l’Autre : laissez les morts enterrer leurs morts.
Maintenant ? J’ai rendez-vous avec quelques vivants. Nous avons un dessin en commun à tracer. Chacun amènera ses feutres.
F.Houdaer
04:51 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0)
05/05/2020
Un peu de V.H.S. dans les oreilles...
– Non, mais… Parce que tes références musicales, là, elles sont un peu-beaucoup datées…
– Bien sûr. C’est un peu-beaucoup comme ce que j’écris, en ce moment.
– Comment tu peux en être aussi sûr ?
– Parce que j’y travaille.
04:38 Publié dans a.2) MES TEXTES, oreillettes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : iggy pop, cry for love
28/04/2020
AUTO-PROPHÉTIE
une mère fait des pieds et des mains
pour récupérer la garde de ses enfants
tandis qu’un satellite de la Nasa
s’abime dans le pacifique peu après son lancement
qu’une guerre des clans est relancée dans un parti minoritaire
que les gardiens d’un gymnase se mettent en grève
non loin de chez moi
et
et ?
et j’ai du mal à comprendre que personne
n’en ait rien à foutre de mon dernier recueil
pourtant écrit dans une langue intelligible de tous
me vient l’idée de jouer du cutter
de désosser mes livres déjà parus
pour vendre mes poèmes un par un
histoire de me faire une marge plus importante
(extrait d'un recueil à paraître)
07:29 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nasa
20/04/2020
En 2019 (poème pas si vieux bien que daté)
dans le local S.A.V. de la F.N.A.C.
j’attends mon tour en
parcourant une affichette couverte
d’un maximum de dessins et d’un minimum de mots
réagir en cas d’attaque terroriste
je ramène un article récemment acheté
un lecteur C.D et cassette
vite tombé en panne
je le confie aux bons soins d’un jeune gars incrédule
il peine à croire que j’ai pu trouver une vieillerie pareille
dans son magasin
j’ai 49 ans
à mon âge
Rimbaud était déjà unijambiste
et mort
Johnny Cash avait demandé la main de sa June sur une scène londonienne
Bukowski continuait de boire
convaincu qu’il n’en aurait plus pour longtemps
ce en quoi il se trompait
(extrait d'un recueil à paraître)
07:20 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rimbaud, cash, bukowski, fnac
13/04/2020
Un jeudi soir
ils sont censés lui rendre hommage
ils se sont réunis pour l’occasion dans la plus belle librairie de la ville
chacun a attendu son tour pour causer
personne n’a coupé la parole à son voisin ou à sa voisine
on était entre personnes polies
et bien intentionnées
ce que n’avait pas toujours été le cher disparu
une critique littéraire qui l’avait connu s’est exprimée la première
a parlé d’une certaine poésie chez lui
puis s’est excusée d’employer ce terme
a précisé qu’elle ne lisait jamais de poésie
personne n’a sursauté
personne n’a tiqué dans le public quand elle a avoué cela
le fantôme de l’ami trop tôt parti n’est pas apparu
pour lui tirer les oreilles
ou lui botter le cul
la soirée a suivi son cours tranquille
trop tranquille
pour quelle raison
pour qui s’étaient-ils tous réunis de la sorte ?
pour Pierre Autin-Grenier ?
nous étions-nous vraiment retrouvés
pour évoquer l’auteur des Radis bleus ?
n’avaient-ils pas d’autres choses à partager
que ce chapelet d’anecdotes répétitives
qu’ils dévidaient à tour de rôle
où il n’était question que de salons du livre ennuyeux
au cours desquels ils avaient vu
notre ami à l’œuvre
les pauvres
ils étaient tellement incapables de magie
même dans leur façon de raconter
le seul à se démarquer de cette bande a été Thomas
le plus jeune
il n’avait jamais rencontré Pierre de son vivant
mais avait noué avec lui une correspondance
il a été celui qui en a parlé le mieux
même si j’ai regretté que ses interventions n’aient pas été plus nombreuses
je suis sorti des lieux avant la fin
l’air était étrangement doux pour une fin novembre
la nuit avait préservé les couleurs des façades
certaines couleurs de certaines façades
j’ai attendu Thomas sur le trottoir
devant la librairie
puisque je l’hébergeais le soir même
il n’a pas voulu dîner avec les autres
nous avons gravi ensemble la colline de la Croix-Rousse
au sommet de laquelle j’habitais
arrivés chez moi
nous avons éprouvé le besoin de comparer nos versions de cette soirée
qu’avions-nous réellement vu
entendu ?
subi ?
comment cela avait-il pu être raté à ce point ?
de fil en aiguille
nous avons parlé du reste de nos vies
et nous sommes interdit de mourir
afin que jamais
un pareil hommage puisse nous être rendu
(extrait d'un recueil à paraître)
05:05 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : autin-grenier, pierre autin-grenier, vinau, thomas vinau
11/04/2020
Tranches de confinement
(…)
Hésiter à entamer un « journal de confinement » par pur snobisme. Sous prétexte que d’autres, et en nombre, s’y sont collés avant moi.
Grande Poste Centrale de la X-Rousse. Devant les machines à affranchir, une femme masquée/gantée se retrouve sans stylo pour remplir un papier et est contrainte de m’en emprunter un. Elle le désinfecte deux fois : en le prenant et en me le rendant à bout de bras. Nous sommes au bord du fou-rire.
Apprendre, par Grégoire, le décès de Limonov. Tout le monde s’en fout. Il n’est pas mort du Covid 19, et c’était un « salaud ». Une pensée pour tous ces salons du livre qui ont déroulé le tapis rouge à Carrère, son biographe, et qui n’auraient jamais invité un auteur comme Limonov.
Revoir « L’ange exterminateur » (LE film sur le confinement). Devant les images de Bunuel, m’effondrer de sommeil. Revenir à moi pour ôter mes lunettes de mon nez tandis qu’un personnage à l’écran fait de même.
Echange improbable de SMS avec mon éditeur parisien. La conclusion de « Monsieur Le Dilettante » : « Soyons fatalistes ». En langage parisien, que veut dire « fataliste » ?
Poursuivre l’animation d’ateliers d'écriture depuis ma cuisine, grâce à certains outils récemment apprivoisés. Cela fait un an que je m’occupe tous les mercredi après-midi d’un atelier "Ados" loin, très loin du milieu scolaire. Que des volontaires, donc. La semaine précédente, elles ont "toutes" (dix filles pour deux garçons) fait mourir leur personnage principal. Aujourd'hui, il n'en a rien été. Je n'en tire aucune conclusion… mais cela me réconforte. Elles ont laissé à leur personnage le temps d'une prise de conscience, au travers trois époques ramassées (avant, pendant et après le confinement). Des lignes ont bougé.
(…)
04:32 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : confinement, grégoire damon, limonov, bunuel, journal