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Chez lui, l’ordre régnait. Sitôt entrée, j’ai repéré, sur la table basse de son salon, mes différents ouvrages alignés. Tous fendus par le milieu d’un signet beige. Il me les a montrés du doigt, comme s’il ne les avait pas suffisamment mis en évidence. Il m’a invitée à m’asseoir, m’a demandé si je voulais boire quelque chose pour accompagner les quelques bretzels qu’il avait disposés au fond d’un bol. Je lui ai demandé ce qu’il avait.
– Que du Perrier.
C’était parfait, j’aimais l’eau et les bulles.
Il ne s’est pas levé tout de suite, il avait autre chose à me demander. Acceptais-je d’écouter quelques uns de ses propres textes ?
J’ai acquiescé et pris un bretzel. Mon hôte s’est mis en mouvement. Il s’est redressé, a quitté la pièce, est revenu avec une pochette jaune sous le bras. Épaisse.
– Mes textes
J’avais soif. Le stick salé avait irrité le fond de ma gorge. Je lui ai rappelé mon / notre Perrier. Il a souri, est allé chercher deux verres et la bouteille mais il ne nous a pas servis. Il a tout de suite commencé à lire un premier texte. Long. Au troisième, j’ai décidé de remplir moi-même mon verre.
J’étais venue chez lui pour que l’on parle du projet qui se montait dans la bibliothèque où il travaillait. Aux dernières nouvelles, il avait réussi à convaincre ses collègues et sa directrice de lâcher un mini budget pour une double lecture poétique. J’allais partager le micro avec Machin, un poète qui, à défaut de me bouleverser, m’inspirait un certain respect. Où en était ce projet ?
Le fonctionnement d’une bibliothèque municipale ressemblait parfois à une usine à gaz. La décision finale avait-elle été prise ? Une date décidée pour de bon ?
J’ai senti un malaise chez mon hôte. Je me suis mise à tousser. Toujours ce fichu bretzel. Il m’a demandé si je voulais boire autre chose, je lui ai rappelé qu’il n’avait que du Perrier. J’attendais la suite
– J’ai fait une erreur.
À ces mots, j’ai su que c’était mort. J’ai voulu le contredire, lui dire qu’il avait fait de son mieux quand sa précision est tombée.
– J’ai viré Machin du programme, je l’ai remplacé.
Je n’ai pas osé demander par qui ? Il s’est resservi en Perrier, a vidé la bouteille.
– Mes collègues ne l’ont pas bien pris. Je vous dis les choses honnêtement, ma chère, ils n’ont pas supporté que je veuille lire mes textes à vos côtés. Pour eux, je ne suis que l’un des leurs, pas un poète. Je n’ai pas le droit de me positionner comme poète sur mon lieu de travail. J’ai voulu forcer un peu leur décision, ils se sont braqués. Ils ont tout annulé.
Le consoler ? J’ai pensé au café qui se trouvait en bas de chez lui. Et si on y descendait pour se changer les idées ?
Il a prononcé une réponse inaudible. Devant mon absence de réaction, il l’a répétée…
– Parfois, on croit bien faire.
… puis il m’a proposé de finir les bretzels avant de quitter les lieux.
Il y a ceux qui ne voient qu’une partie, qu’une toute petite partie du spectre. Et ceux-là en voient rarement, des spectres.
J’ai longtemps fait partie de cette catégorie d’individus. Puis, peu à peu, quelque chose s’est ouvert. Cela avait sûrement à voir avec mes premiers bricolages tardifs en poésie. Je me suis rendu compte que mon calendrier, dans son entièreté, était faux. J’ai écrit un recueil qui parlait de ça : des mensonges des dates et des heures… des murs que l’on nie puis que l’on traverse… des cloisons entre les morts et les vivants qui ne sont jamais étanches. J’ai appris à manier quelques outils aussi discrets qu’efficaces. J’ai surmonté ma répugnance vis-à-vis de toute méthode, bref… j’ai donné dans la magie. Grise.
J’ai gravi, j’ai cru gravir une marche. C’était une marche à la con. Je ne devrais pas la qualifier ainsi ; elle m’a permis de hausser mon point de vue de quelques centimètres, d’élargir mon champ de vision… mais le piège – encore un – était bel et bien réel. Comme disait l’Autre : laissez les morts enterrer leurs morts.
Maintenant ? J’ai rendez-vous avec quelques vivants. Nous avons un dessin en commun à tracer. Chacun amènera ses feutres.
Hésiter à entamer un « journal de confinement » par pur snobisme. Sous prétexte que d’autres, et en nombre, s’y sont collés avant moi.
Grande Poste Centrale de la X-Rousse. Devant les machines à affranchir, une femme masquée/gantée se retrouve sans stylo pour remplir un papier et est contrainte de m’en emprunter un. Elle le désinfecte deux fois : en le prenant et en me le rendant à bout de bras. Nous sommes au bord du fou-rire.
Apprendre, par Grégoire, le décès de Limonov. Tout le monde s’en fout. Il n’est pas mort du Covid 19, et c’était un « salaud ». Une pensée pour tous ces salons du livre qui ont déroulé le tapis rouge à Carrère, son biographe, et qui n’auraient jamais invité un auteur comme Limonov.
Revoir « L’ange exterminateur » (LE film sur le confinement). Devant les images de Bunuel, m’effondrer de sommeil. Revenir à moi pour ôter mes lunettes de mon nez tandis qu’un personnage à l’écran fait de même.
Echange improbable de SMS avec mon éditeur parisien. La conclusion de « Monsieur Le Dilettante » : « Soyons fatalistes ». En langage parisien, que veut dire « fataliste » ?
Poursuivre l’animation d’ateliers d'écriture depuis ma cuisine, grâce à certains outils récemment apprivoisés. Cela fait un an que je m’occupe tous les mercredi après-midi d’un atelier "Ados" loin, très loin du milieu scolaire. Que des volontaires, donc. La semaine précédente, elles ont "toutes" (dix filles pour deux garçons) fait mourir leur personnage principal. Aujourd'hui, il n'en a rien été. Je n'en tire aucune conclusion… mais cela me réconforte. Elles ont laissé à leur personnage le temps d'une prise de conscience, au travers trois époques ramassées (avant, pendant et après le confinement). Des lignes ont bougé.