15/04/2020
"Voyages" ?
« J’en vois. Prendre des notes est une espèce de maladie. Certains sont de vrais frénétiques. Mais ça n’a jamais rien donné de très remarquable – cette impression de refroidi, de vieux chewing-gums entre des mains hésitantes. Les choses doivent remonter d’elles-même, mériter leur place au grand jour. J’ai arrêté mes carnets pour cette raison. On ne peut valablement écrire que dans un sentiment de fragilité absolue. Et sans doute sauter dans un avion permet-il encore de récolter quelques détails subsidiaires, mais le plus gros doit être fait avant, quand on ne sait pas encore très bien où l’on va, que tout reste dans l’ombre, que tout est encore gratuit.
(…) Plus tard, la fiction s’impose naturellement. »
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12/04/2020
(Re)lecture de saison
Il y eut sur la terre un moment, improbable avec le recul et en réalité bien bref au regard de l'histoire humaine, l'espace d'un clin d'œil plutôt qu'un moment, où il était possible de gagner sa vie uniquement en photographiant et en interviewant des gens connus. Sept ans avant la fin du monde, Jeevan Chaudhary décrocha une interview avec Arthur Leander.
Emily St. John Mandel
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08/04/2020
Mirbeau
- Sainte Vierge !... Prêtre, toi !... Un garnement comme toi !... Mais c’est offenser le bon Dieu que de dire des choses pareilles !...
- Je veux me faire prêtre, nom de Dieu !... Prêtre, sacré nom de Dieu !
Et la mère s’évanouit, en disant :
- Ah ! J’ai donné le jour à l’Antéchrist !... Pardonnez-moi, Seigneur.
On consulta le curé, et le curé ne vit, dans cette vocation extraordinaire (…) qu’une grâce soudaine du ciel…
- C’est un miracle !... un grand miracle.
Mme Dervelle sanglotait.
- Mais il sacrait, monsieur le curé, il sacrait comme un païen.
- Ta, ta, ta, ta !... il sacrait… C’est bien évident, qu’il sacrait… Mais c’est l’esprit du mal qui s’en allait, ma bonne petite dame…
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28/03/2020
"L'ÎLE ATLANTIQUE" de Tony Duvert
Sans le moindre doute, le meilleur roman que j'ai lu depuis le début de l'année. Son auteur ? Tony Duvert (le très sulfureux). C'est paru en 79 chez Minuit. Mordillat en a tiré un téléfilm (pas vu). Ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est son écriture.
« Alain Viaux s’y intéresse aux touristes. Il n’irait pas les voir là où ils logent (quartiers pauvres d’époque, quartiers riches actuels) ; et il sait que les riches ne mettent pas les pieds dans les endroits sans visage où on habite. Mais il existe quelques régions intermédiaires, assez indigènes pour que Viaud y aille comme chez lui, assez singulières pour que les étrangers les visitent. La plage des Pins. Le Festival des Poteries, Coquilles peintes & Parasols. La rue piétonnière, avec ses chaînes où on se balance et ses commerces trop chers pour acheter, trop surveillés pour voler ; s’y promènent des gens beaux deux par deux, qui ne s’occupent que de se montrer avec la main, les yeux, combien ils se trouvent beaux l’un l’autre, et combien ils sont au-delà de ces sottises : les produits. A se demander pourquoi ils viennent tous ensemble, et aux mêmes heures, manifester – sourire voilé sur œil vitreux, œil alangui sur sourire mou – dans l’unique rue marchande de la ville, qu’ils sont au-delà de ça et n’ont de passion que pour l’amour d’eux-mêmes.
Lui, Viaux, il comprend très bien. C’est si luxueux d’être indifférent au luxe : mais où le montrer, sinon sur ces deux cents mètres de commerces ruineux ?
(…) C’est cela qu’il vient voir, Viaud, justement. Les mannequins, les pantins. C’est brillant et ça bouge comme à Noël. C’est une chance d’être une île touristique : on a ça toute l’année. C’est des têtes qui frappent. »
« Il n’y avait, à vrai dire, aucun mort. Cependant, Camille Gassé avait reçu une balle dans la poitrine. Il s’était évanoui. Personne ne savait quoi en faire.
Son frère Benoît retrouva instantanément le ton grand-bourgeois, et il s’indigna dignement contre Guillard comme il se serait plaint au directeur d’une agence de voyages dont le programme a mal tourné. Pour un peu, il l’aurait menacé d’un avocat, de poursuites, ou l’aurait traité de fils d’ouvrier. Il sentit, à temps, l’hostilité qu’inspirait son genre d’en haut ; on était plus de dix dans la grotte ; même François Boitard ne se ralliait pas à ces protestations prétentieuses ; Benoît eut donc une crise de larmes intéressantes, comme si quelqu’un de son milieu, par-dessus le toit, avait pu voir, apprécier, évaluer sa prestation sociale. On dévêtit Camille. Benoît bouda. Il y avait vraiment une blessure, avec un vrai trou rond, qu’on regarda. On écouta le cœur. Ça marchait. Mais comment arrêter ce sang, et où trouver, sans conséquences, un médecin ? Guillard appuya sur la plaie avec un chiffon. Dommage, pensait-il, que la balle n’ait pas atteint l’autre Gassé. »
11:56 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'île atlantique, tony duvert, duvert, éditions de minuit, antpine brea, realpoetik
12/12/2019
"PROFESSION ROMANCIER", le nouvel essai de Murakami...
05:58 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : murakami, essai, profession romancier, haruki murakami
26/11/2019
Luc Dietrich
14:43 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dietrich, richaud, le bonheur des tristes, le canard enchaîné, frédéric richaud, denoël, luc dietrich
23/07/2019
"L'Homme que fut Blaise Cendrars"
(...) Le Mercure de France, revue alors célèbre, aujourd'hui enterrée, et qui devait considérer qu'elle faisait beaucoup d'honneur aux poètes en publiant leurs œuvres, car lorsque Blaise s'est présenté à la caisse pour toucher sa pige, on l'informa sans commentaires que Le Mercure ne payait pas les poésies. A quoi la victime, qui courait après un sou de cuivre, s'est exclamée sans ambages :
- Merde ! mettez-les en prose et donnez-moi cent sous !
"L'Homme que fut Blaise Cendrars", A.t'Serstevens. Ed. arléa.
(…)
Nous avions bien autre chose à faire que nous mêler au monde des lettres; il occupait fort peu de place dans nos entretiens. Un vrai marin ne s'attarde pas volontiers à parler de la mer, mais des terres où elle l'a mené.
19:48 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blaise cendrars, cendrars, l'homme que fut blaise cendrars, a.t'serstevens, éditions arlea
05/07/2019
Chany # 3
Bien sûr qu’on les choisit, ces ancêtres. J’en ai d’extravagants. L’un d’eux commença, vers les seize ans, de désarticuler toutes les brebis qu’il gardait, afin qu’elles n’aillent pas brouter l’herbe du voisin, le temps d’aller voir les bergères, qui loua par la suite un wagon du P.L.M. pour y abriter ses maîtresses, qui poussa la supercherie jusqu’à faire croire à toute une petite ville de Limagne qu’il faisait pousser des bananes dans son jardin, qui, rebouteux, sourcier et un peu sorcier, refusa sa vie durant d’adresser la parole à un homme de l’art, et finit, sur les marches d’un café, un beau mensonge aux lèvres. Ces ancêtres, je les garde pour les jours de fête. Leur fréquentation est dangereuse et n’est pas philosophique, si l’on entend par philosophie la recherche de la vérité. Mais elle me plaît. Même au cimetière, ce ne sont pas des gens qui vous laissent tomber.
Alain Chany, « Vessies et lanternes »,
éd. de L’Olivier (collection « Replay »)
06:30 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alain chany, vessies et lanternes, éditions de l'olivier
26/06/2019
"Nu dans le jardin d'Eden"
Bien avant que Jester eût jamais vu Garden Hills, il savait tout de la perfection. Si vous êtes parfait, vous êtes supposé gagner. Tout le monde sait ça. Le parfait combattant gagne le match de boxe. Le parfait travailleur devient président. C’est une loi de la nature, comme la gravité. Les cerfs-volants volent les jours de vent. Les enfants qui boivent du lait ont les os costauds. C’est pour ça que les hommes se lèvent le matin. C’est pour ça que les nations se font la guerre. Et c’était pour ça que Jester s’était trouvé sur ce cheval, tôt le matin, au haras Ponce de Leon à Ocala, Floride. Il souriait encore quand Roman Lover avait percuté en plein galop le mur de ciment à 50 kilomètres à l’heure.
C’était clairement une violation perverse de l’ordre naturel des choses. C’était une rivière coulant vers le haut de la colline. C’était le feu qui ne brûle pas et la glace qui ne gèle pas. C’était arrivé si vite qu’il n’avait même pas eu le temps d’avoir peur. Il avait rencontré le mur sans se protéger : il attendait un baiser et s’était pris une brique dans la gueule.
« Nu dans le jardin d’Éden » de Harry Crews (1969), trad. quarante-cinq ans plus tard par Patrick Raynal
09:18 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harry crews, nu dans le jardin d'éden, patrick raynal, sonatine