21/03/2006
Fantaisie urbaine (et inédite)
Le portable contre mon oreille, sur le bord d’un lac qui a enfin décidé à se montrer après un épisode nocturne et un autre brouillardeux, j’apprends la fin de mon aventure avec Lyon-Capitale. Il me reste quatre « Fantaisies urbaines » sur les bras. Je vous livre celle-ci :
PLACARD SEDITIEUX
Quand le lyonnais Henri Béraud (prix Goncourt en 1922, condamné au bagne vingt-trois ans plus tard) s’est baladé Place Bellecour pour écrire sa « Promenade autour du cheval de bronze », il n’a guère évoqué le Mac Do où je rédige ces lignes. On lui pardonnera cet oubli.
Dans ce lieu saturé de graisse et de sucre, borné WIFI jusque dans les toilettes, je me livre à la moins branchée des activités. Je me fais du bien. Je bouquine quelques travaux d’historiens, en parfait autodidacte. Je complète ma cartouchière, tandis qu’au dehors croissent l’arrogance des puissants et le ressentiment des sans-grades. Je finis mon menu XL en apprenant qu’à la Libération, chaque lyonnais avait perdu en moyenne dix kilos. Je découvre qu’à d’autres époques fleurissaient sur les murs de Lyon des « placards séditieux » signés « Le Povre » (sic). Je note ce genre de détails, m’amuse à lister ceux de mes contemporains qui mériteraient de se prendre ce genre de placard en pleine figure.
Je vais débarrasser mon plateau, retourne à ma place, à ma lecture et à mes « joyeurs d’espée ». J’apprends qu’en 1909 un des employés de l’usine Berliet de Monplaisir s’appelait Jules Bonnot. J’espère qu’à SEB, quelqu’un lira ces lignes.
Mes voisines de table causent de la grippe aviaire et de l’Ain tout en dévorant leurs chicken nuggets. Je continue de me piquer avec la plume de quelques érudits.
Jean Butin(1) a fait un énorme travail pour moi. Il a constaté que, sur les centaines de rues lyonnaises, quatorze d’entre elles perpétuent le souvenir d’une femme. Pas vingt, pas quinze, quatorze ! « 3 religieuses, 6 bienfaitrices, 3 résistantes, une aviatrice, et… Juliette Récamier ». Gageons qu’avec une Ségolène Royal en tête des sondages, les Collombophiles rééquilibreront la balance (mais que l’on ne compte pas sur eux pour donner à une rue le nom de l’écrivain mentionné en début de cette Fantaisie).
L’ami Gnafr’ me rejoint, les doigts pleins de ketchup lors même qu’il n’a pas attaqué son Big Mac. Il me tient un discours que je résumerai d’un « Pas de Vélo’v pour la banlieue, bien fait pour vos gueules les pauvres ». Contrairement à lui, je doute que la frustration occasionnée provoque une nouvelle « Grande Rebeyne » (du nom de l’un des plus importants soulèvements populaires qu’ait connu la ville).
Gnafr’ me tend un exemplaire du Progrès. À l’intérieur, une interview de Gérard Collomb où il est dit qu’il se Pradélise sans que cela fasse sourciller l’intéressé. Gérard tient plutôt la forme. Philippe Muray est mort. Lyon-Capitale vient de sauver sa peau. La roue tourne. Nous vivons à une époque où les duels sont interdits et les menus XXL autorisés. Préparons-nous à une grande opération de « Vivre ensemble ».
(1) « Ces lyonnaises qui ont marqué leur temps », éditions ELAH
09:20 Publié dans a.2) MES TEXTES, LyonnÈseries, politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Béraud, Fantaisies urbaines, Lyon-Capitale, Collomb, Lam, Muray, Butin
02/03/2006
ATELIÉ D’ÈKRITUR (2)
les profs se teignent
les cheveux
en rouge
elles en éclaboussent
les copies
qu’elles corrigent
les élèves se rongent
les ongles
mordent
leurs stylos
lèvent
un doigt
jusqu’à leur nez
lisent
le journal
gratuit
ne lisent pas
les manuels
scolaires
ne lisent pas
tout court
08:35 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, atelier d'écriture
28/02/2006
CERTITUDES ? (atelier d'écriture 1)
ils sont assis
c’est moi l’écrivain
mais c’est eux qui écrivent
c’est eux qui se perdent
au pays de Neverland
m’entendent-ils citer
Rimbaud
Flaubert
Bruce Lee ?
m’entendent-ils trop parler ?
est-ce que je les gêne
à marcher de long en large
à les inviter à ceci
à les mettre en garde contre cela
à prétendre sentir la pente de leur écriture
malgré ma sinusite chronique ?
est-ce que ma voix
mon corps
les gênent pour écrire ?
est-ce l’inverse qui se produit ?
est-ce le fait qu’ils écrivent
qui m’anime ?
je ne verrai pas la fin de tout cela
personne ne la verra
le guidon nous sort de la tête
et nous chargeons sur une route
avec laquelle nous finissons
par nous confondre
08:00 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : atelier d'écriture, poésie
25/01/2006
TRIOMPHE INTIME
nous posons pour un peintre
dont l’atelier disparaîtra dans un incendie
pour un photographe qui a oublié
de charger son appareil
pour un voyeur amnésique
pour une caméra reliée
à un centre de contrôle
où tout le monde
même le chien
fait la sieste
15:15 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie
16/09/2005
2005
je n’y peux rien
c’est mon année
qu’on se le dise
qu’on le colporte
jusqu’à ce que l’information me revienne
aux oreilles
06:40 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : année du coq, poésie, 2005
28/05/2005
Samedi 28 mai
vengeance encore tiède
train qui arrive à l’heure
pour l’homme sans montre
mais qui l’emmène
dans la mauvaise direction
j’écris cela
est-ce que je prétends
connaître
la bonne direction
pour qui que ce soit ?
22:30 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie
27/05/2005
Vendredi 27 mai
mon éditeur est aussi un poète
comme moi
il fait avec son corps
avec sa voix
comme moi
il lui arrive de bien se débrouiller
comme moi
il s’en sort parfois d’extrême justesse
je nous souhaite de faire
de vieux os
lui
continue de frayer avec
les fantômes des « morts trop jeunes »
qu’il les chasse
ou qu’il relise plus attentivement
les manuels
Lautréamont n’est pas mort à 27 ans
mais à 77
Rimbaud n’est pas mort à 37 ans
mais à 70
et tous deux étaient chinois
pour ne prendre que leur exemple
je crois avoir convaincu mon éditeur
quand je le vois brûler ses papiers
d’identité
jeter sa montre
son portable
tout ce qui l’obligeait à porter
le fardeau de l’heure
le mensonge des dates
mon éditeur va faire de vieux os
moi aussi
21:40 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Lautréamont, Rimbaud, poésie, Renard
14/05/2005
FRANCK EINSTEIN
sur le compte du fils Einstein
on dit qu’il est devenu fou
qu’il n’a pas supporté d’être le rejeton
d’un génie qui savait tirer
une langue de berger allemand
on exagère
Franck
je l’ai rencontré
son épaule droite était un Lego rouge
d’une belle dimension
sa tête ressemblait à
celle d’un Big Jim décapité
après qu’on lui ait fait jouer
le rôle de Louis XVI
un magnifique contre-emploi
sur sa tête
trônait le scalp renversé d’un Playmobil
comme une petite couronne
le fils Einstein était d’un commerce
agréable
mais sans plus
il était aussi
partiellement articulé
sans vouloir me montrer méchant
je dois bien reconnaître
qu’il n’avait pas inventé
le fil à couper le beurre
on raconte quantité de choses
sur le compte des fils de Gandhi
et caetera
14:50 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Einstein, Gandhi, poésie
12/05/2005
SOIRÉE TÉLÉ (« Le loup-garou de Paris »)
j’écris ces phrases
pendant que mes amis rigolent grassement
devant la télé où
Julie Delpy se transforme en loup-garou
c’est bien dommage
ce joli corps qui se couvre de poils
les ongles qui s’allongent à vue d’œil
ne me dérangent pas
mais les poils qui émergent
de cette poitrine si gracieuse
comme si elle était transpercée
de fils de fer
non vraiment
cela me donne plus envie
de pleurer que de rire
je me contiens
je suis un homme qui passe la soirée
au milieu d’autres hommes
l’un d’eux cherche à me rassurer
Julie Delpy a trouvé là
un vrai rôle de composition
me dit-il
personnellement
j’aurais préféré la voir
dans la peau de Mata-Hari
plutôt que dans celle d’un loup-garou
le film de ce soir est censé se dérouler
à Paris
à voir la façon dont l’on nous cache
la nudité de l’actrice
il est américain
Julie exceptée
c’est mon poème
j’ai le droit de l’appeler Julie
Julie exceptée disais-je
il n’y a pas un acteur pour sauver l’autre
dans ce film
et ceux qui les doublent en français
ne sont guère meilleurs
aussi
je donne raison à Julie de se transformer
en monstre pour
bouffer tout ce petit monde parisien
j’ai fait plusieurs salons du livre
porte de Versailles
et des loups-garous
j’en ai croisé quelques uns
mais mon témoignage
n’est pas pour intéresser mes amis
07:30 Publié dans a.2) MES TEXTES, où je zieute des images qui bougent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télé, Delpy, le loup-garou de Paris, horreur, navet