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10/09/2022

"Anges profanes" (extrait)

nous ne sommes pas encore

dans le Vercors

je dois au préalable

boire trop de café

mettre de l’essence dans la voiture

laisser ma progéniture à mes ascendants

dans le sac

sur mes pulls

je jette un livre consacré à Gurdjieff

un autre à Léonard Cohen

dans le sac

sur mes pulls

je jette un roman qui a failli décrocher le Goncourt

un recueil de poésie qui n’a pas rapporté un centime à son auteur

dans le sac

sur mes pulls

je jette la biographie d’un homme disparu sans laisser de trace

un essai très intelligent sur un sujet indéfinissable

cela devrait suffire pour le week-end

j’interroge ma femme

quelle distance a-t-elle prévue que nous marcherions

déjà ?

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09/04/2020

Vollard and co...

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Deux extraits du livre d'Ambroise Vollard : 

 

Vollard, dans une conversation avec Cézanne :

 

« Il me semble que cela devait être d’un intérêt passionnant, les rencontres que l’on faisait chez Zola : Edmond de Goncourt, les Daudet, Flaubert, Guy de Maupassant, et tant d’autres.

Cézanne : Il venait beaucoup de monde, en effet, mais c’était bien emmerdant, ce qu’on y entendait dire. J’ai voulu un jour parler de Baudelaire : ce nom n’a intéressé personne.

Vollard : Mais de quoi s’entretenait-on ?

Cézanne : Chacun parlait du nombre d’exemplaires, auquel on avait tiré son dernier livre, en mentant un peu bien entendu. Il fallait surtout entendre les dames. Mme X disait avec fierté et en défiant du regard Mme Z « Nous avons calculé, mon mari et moi, qu’avec les éditions illustrées, le dernier roman avait été tiré à 35000 exemplaires » - « Et nous, disait Mme Z en relevant le gant, nous sommes assurés pour notre prochain livre d’un tirage à 50000 exemplaires, sans compter l’édition de grand luxe… » Voyez-vous, Mr Vollard, Zola n’était pas un méchant homme, mais il vivait sous l’influence des évènements ! »

 

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Vollard à Zola :

« - Vous avez des tableaux de M.Cézanne ?

Zola : Je les avait cachés à la campagne. Sur les instances de Mirbeau, qui voulait les voir, je les ai fait rapporter ici. Mais je ne les mettrai jamais au mur. Ma maison, vous ne l’ignorez pas, est la maison des artistes. Vous savez combien ils sont justes, mais sévères entre eux. Je ne veux pas abandonner au jugement de ses pairs le plus cher compagnon de ma jeunesse. Les tableaux de Cézanne sont enfermés là, dans cette armoire, à l’abri des regards malveillants. Ne me demandez pas de les sortir, cela me fait trop de peine, quand je pense à ce que mon ami aurait pu être, s’il avait voulu diriger son imagination et aussi travailler sa forme, car, si on naît poète, on devient ouvrier… c’est à son intention que j’ai produit « L’œuvre ». Le public s’est passionné pour ce livre, mais Cézanne lui est resté fermé. Rien ne pourra plus le sortir de ses rêveries : de plus en plus, il s’éloignera du monde réel…

Vollard : Mais s’il n’a pu réaliser son œuvre, M.Cézanne, du moins dans ses lettres, disait-il des choses intéressantes sur la peinture ?

Zola (baisant tendrement son petit chien) : Tout ce qu’écrivait Cézanne était imprévu et original : mais je n’ai pas conservé ses lettres… Je n’aurais voulu pour rien au monde qu’elles soient lues par d’autres, à cause de leur forme un peu lâchée. »

 

27/11/2011

Comment rater le Goncourt ?

Réponse de Didier Decoin (membre de l'Académie Goncourt) : "On n’a pas évincé Emmanuel Carrère, on a évincé le personnage dont Carrère parle dans son livre. Carrère, qu’on considère comme un immense écrivain, a été victime de Limonov. On s’est dit : Que diable est-il allé faire dans cette galère? Quel intérêt de nous parler de cette sale bête de Limonov? Je sais qu’on pourrait nous dire qu’à partir de là, on n’écrit pas sur Hitler. Mais bon, voilà, j’ai réagi comme ça lors du vote. A la fin du scrutin, on s’est tous dit : Merde, on a sorti Carrère."

Pour ceusses qui aimeraient lire Limonov donc, ils peuvent commencer ICI. Pour Carrère, ne vous faites pas trop de soucis pour lui.

 


 

 

26/06/2007

BÉRAUD

Article mis à jour le 26 juin. 

« Les directeurs de théâtre, les journalistes, les peintres, les chefs d’orchestre, peuvent tout à leur aise agiter leurs engagements, leur porte-plume, leur palette et leur bâton, la bourgeoisie lyonnaise s’en fiche un peu, pourvu que fleurisse l’inventaire, que l’associé soit roulé, que la fille épouse un fabricant et le fils ne tombe que des femmes mariées. »

Henri Béraud (en octobre 1913 !).

 

Toujours sur Béraud, ce portrait signé par son ami Marius Mermillon (et trouvé dans l’ouvrage « Une histoire de peinture », éditions Stéphane Bachès) :

«  Chaque ville détient ses personnages falots et glorieux, risibles et haïssables, des Barrès professeurs, des Mandel conseillers municipaux, des Maurice Rostand poètes, des Georges Boy croque-morts, des bonhommes médaillés, galonnés, plaqués, dorés, vernis et tabous pour les citoyens.

Béraud, de tempérament excitable, dressa un catalogue de ces pingouins lyonnais et les appela un par un, en combats singuliers. Mais il avait double muscle et cognait sur des toquards. Ses adversaires prenaient figure de victimes. Pour corser le jeu, il résolut de cantinelliser son public tout entier. Il l’invita à une conférence : les Lyonnais considérés comme un jeu de massacre, et il en annonça une seconde : cafards et cloportes, essai sur la générosité, la cordialité et la franchise lyonnaise. Le public vint et se divertit, sans se fâcher, une rigolade de bonne compagnie, discrète sous les mouchoirs. Cela faisait dans la salle un bruit de petites bêtes écrasées.

Il y avait de quoi dégoûter un belluaire vindicatif, balayeur d’écurie. Béraud, dégoûté, partit, fit la guerre et ne revint pas à Lyon. A Paris, il mit bas la veste, enfila les gants de quatre onces et reprit son entraînement.

(…) Il a distribué quelques rudes horions. Ici même nous l’avons vu pocher l’œil de Mr Gide, et le temps de compter neuf lignes, on emporte sur un brancard les restes flasques de Mr Suarès. Pareille infortune échoit rarement à ses messieurs. Espérons qu’elle se renouvellera. De Lyon, ses amis suivent les matches. Mon vieux, dit le journaliste qui tire un illustré de sa poche. J’ai vu sa photo en tenue de combat. On écarte les verres, les têtes se penchent sur le papier. L’esthète est en garde. Un monocle tache la vaste rondeur des joues. Mèches raides et sourcils crispés, son regard vise la scène où doit naître et mourir quelque pièce de Francis de Croisset. Il médite un brutal direct du corps. Est-ce bien lui ?

Ils le reconnaissent mal. Béraud ne leur apparaît point tel, lorsque entre deux trains, évadé de Paris, de retour d’Irlande, d’Italie ou d’Orient, il vient prendre place toute une soirée à la vieille table. Alors cette moue s’épanouit en un large sourire, ses pommettes roulent dans cette face de caoutchouc en mille expressions de bonne humeur et de jovialité. Car il n’est pas de ces jeunes premiers au profil anguleux qui perdent leur personnalité s’ils sourient ou baissent la paupière. »

Sur son blog, Roland Thévenet nous retrace le parcours de Béraud.

Dans l'une de mes dernières "Fantaisies urbaines", j'évoque le fils du boulanger.

A charge, un historien se penche sur le cas "Béraud".

Un article du Matricule des Anges consacré à « Ciel de suie ». Un autre, toujours du Matricule des Anges, évoque la collaboration de Béraud au Crapouillot.

Et pour finir, une petite critique maison:

 

« LE VITRIOL DE LUNE »

Attention, historique roman historique ! Avec son « Vitriol de lune » Goncourisé en 1922, Henri Béraud dessine la trajectoire du jeune Blaise dans la France du XVIIIème siècle. Les premières et les dernières cases de son périple sont à Lyon, bien sûr, Lyon où le jeune homme est séparé de son oncle Giambattista, Génois qu’il chérit malgré les préjugés de l’époque (« Génois, cela signifie républicain d’Italie, plus conspirateur qu’insurgé, et qui confond assez volontiers la politique et l’assassinat »). Voilà notre gone employé par un riche marchand. Voilà Blaise contraint d’accompagner ce Monsieur Farge, à la tardive vocation de libertin, des « sordides venelles entre le cimetière de Saint-Nizier et la rue Tupin » jusqu’à… Paris.

Les maîtres se suivent et ne se ressemblent pas pour Blaise lassé de porter lanterne et pistolets. C’est à la table de jésuites parisiens, entre les médisances d’alcôves, les racontars de basse police et les querelles d’emploi, qu’il entend parler à nouveau de l’oncle chéri qu’il croyait mort.

Béraud peint avec soin ses tableaux, qu’ils soient parisiens ou lyonnais : une rue de la capitale où les gens de police enlèvent des prostituées en robe de fête, un tournebride fameux où se réunissent tous les domestiques hors de condition de la ville (« le cuisinier insultait le garçon de carrosse, le suisse humiliait le porte-plat, le concierge raillait le fouille-au-pot. »).

Blaise retrouve son oncle. Avec lui, il assiste au martyr de Damien, l’homme qui blessa le Roi. « Le glas se tut, afin qu’on entendit crier l’homme dans les supplices. ».

Le pendant de cette scène atroce se situe à la fin du roman : l’agonie de Louis XV. « Sur un lit d’apparat, entre quatre colonnes d’or, le roi pourrissait… » Une fois de plus, Blaise est le témoin privilégié de l’histoire en marche. Il ignore à quel point il en est le cœur.

 

F.Houdaer (publié dans « Livre & Lire » en novembre 2004)

 

Le vitriol de lune

D’Henri Béraud

Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire

158 p., 10 euros

ISBN 2 84147 155 1