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26/06/2007

BÉRAUD

Article mis à jour le 26 juin. 

« Les directeurs de théâtre, les journalistes, les peintres, les chefs d’orchestre, peuvent tout à leur aise agiter leurs engagements, leur porte-plume, leur palette et leur bâton, la bourgeoisie lyonnaise s’en fiche un peu, pourvu que fleurisse l’inventaire, que l’associé soit roulé, que la fille épouse un fabricant et le fils ne tombe que des femmes mariées. »

Henri Béraud (en octobre 1913 !).

 

Toujours sur Béraud, ce portrait signé par son ami Marius Mermillon (et trouvé dans l’ouvrage « Une histoire de peinture », éditions Stéphane Bachès) :

«  Chaque ville détient ses personnages falots et glorieux, risibles et haïssables, des Barrès professeurs, des Mandel conseillers municipaux, des Maurice Rostand poètes, des Georges Boy croque-morts, des bonhommes médaillés, galonnés, plaqués, dorés, vernis et tabous pour les citoyens.

Béraud, de tempérament excitable, dressa un catalogue de ces pingouins lyonnais et les appela un par un, en combats singuliers. Mais il avait double muscle et cognait sur des toquards. Ses adversaires prenaient figure de victimes. Pour corser le jeu, il résolut de cantinelliser son public tout entier. Il l’invita à une conférence : les Lyonnais considérés comme un jeu de massacre, et il en annonça une seconde : cafards et cloportes, essai sur la générosité, la cordialité et la franchise lyonnaise. Le public vint et se divertit, sans se fâcher, une rigolade de bonne compagnie, discrète sous les mouchoirs. Cela faisait dans la salle un bruit de petites bêtes écrasées.

Il y avait de quoi dégoûter un belluaire vindicatif, balayeur d’écurie. Béraud, dégoûté, partit, fit la guerre et ne revint pas à Lyon. A Paris, il mit bas la veste, enfila les gants de quatre onces et reprit son entraînement.

(…) Il a distribué quelques rudes horions. Ici même nous l’avons vu pocher l’œil de Mr Gide, et le temps de compter neuf lignes, on emporte sur un brancard les restes flasques de Mr Suarès. Pareille infortune échoit rarement à ses messieurs. Espérons qu’elle se renouvellera. De Lyon, ses amis suivent les matches. Mon vieux, dit le journaliste qui tire un illustré de sa poche. J’ai vu sa photo en tenue de combat. On écarte les verres, les têtes se penchent sur le papier. L’esthète est en garde. Un monocle tache la vaste rondeur des joues. Mèches raides et sourcils crispés, son regard vise la scène où doit naître et mourir quelque pièce de Francis de Croisset. Il médite un brutal direct du corps. Est-ce bien lui ?

Ils le reconnaissent mal. Béraud ne leur apparaît point tel, lorsque entre deux trains, évadé de Paris, de retour d’Irlande, d’Italie ou d’Orient, il vient prendre place toute une soirée à la vieille table. Alors cette moue s’épanouit en un large sourire, ses pommettes roulent dans cette face de caoutchouc en mille expressions de bonne humeur et de jovialité. Car il n’est pas de ces jeunes premiers au profil anguleux qui perdent leur personnalité s’ils sourient ou baissent la paupière. »

Sur son blog, Roland Thévenet nous retrace le parcours de Béraud.

Dans l'une de mes dernières "Fantaisies urbaines", j'évoque le fils du boulanger.

A charge, un historien se penche sur le cas "Béraud".

Un article du Matricule des Anges consacré à « Ciel de suie ». Un autre, toujours du Matricule des Anges, évoque la collaboration de Béraud au Crapouillot.

Et pour finir, une petite critique maison:

 

« LE VITRIOL DE LUNE »

Attention, historique roman historique ! Avec son « Vitriol de lune » Goncourisé en 1922, Henri Béraud dessine la trajectoire du jeune Blaise dans la France du XVIIIème siècle. Les premières et les dernières cases de son périple sont à Lyon, bien sûr, Lyon où le jeune homme est séparé de son oncle Giambattista, Génois qu’il chérit malgré les préjugés de l’époque (« Génois, cela signifie républicain d’Italie, plus conspirateur qu’insurgé, et qui confond assez volontiers la politique et l’assassinat »). Voilà notre gone employé par un riche marchand. Voilà Blaise contraint d’accompagner ce Monsieur Farge, à la tardive vocation de libertin, des « sordides venelles entre le cimetière de Saint-Nizier et la rue Tupin » jusqu’à… Paris.

Les maîtres se suivent et ne se ressemblent pas pour Blaise lassé de porter lanterne et pistolets. C’est à la table de jésuites parisiens, entre les médisances d’alcôves, les racontars de basse police et les querelles d’emploi, qu’il entend parler à nouveau de l’oncle chéri qu’il croyait mort.

Béraud peint avec soin ses tableaux, qu’ils soient parisiens ou lyonnais : une rue de la capitale où les gens de police enlèvent des prostituées en robe de fête, un tournebride fameux où se réunissent tous les domestiques hors de condition de la ville (« le cuisinier insultait le garçon de carrosse, le suisse humiliait le porte-plat, le concierge raillait le fouille-au-pot. »).

Blaise retrouve son oncle. Avec lui, il assiste au martyr de Damien, l’homme qui blessa le Roi. « Le glas se tut, afin qu’on entendit crier l’homme dans les supplices. ».

Le pendant de cette scène atroce se situe à la fin du roman : l’agonie de Louis XV. « Sur un lit d’apparat, entre quatre colonnes d’or, le roi pourrissait… » Une fois de plus, Blaise est le témoin privilégié de l’histoire en marche. Il ignore à quel point il en est le cœur.

 

F.Houdaer (publié dans « Livre & Lire » en novembre 2004)

 

Le vitriol de lune

D’Henri Béraud

Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire

158 p., 10 euros

ISBN 2 84147 155 1