06/12/2018
Extrait du discours de Kundera...
... à la réception du prix Jérusalem (1985). Précisons que l'auteur a tenu à recevoir cette récompense en sa qualité de "romancier". Je vous copie-colle ce passage en réponse à certaines prises de parole-position que je vois circuler sur les réseaux sociaux :
" Le romancier est celui qui, selon Flaubert, veut disparaître derrière son oeuvre. Disparaître derrière son oeuvre, cela veut dire renoncer au rôle de personnalité publique. Ce n'est pas facile aujourd'hui, où tout ce qui est tant soit peu important doit passer par la scène insupportablement éclairée des mass media, qui, contrairement à l'intention de Flaubert, font disparaître l'œuvre derrière l'image de son auteur. Dans cette situation, à laquelle personne ne peut entièrement échapper, l'observation de Flaubert m'apparaît presque comme une mise en garde : en se prêtant au rôle de personnalité publique, le romancier met en danger son oeuvre, qui risque d'être considérée comme un simple appendice de ses gestes, de ses déclarations, de ses prises de position. Or non seulement le romancier n'est le porte‑parole de personne, mais j'irais jusqu'à dire qu'il n'est même pas le porte‑parole de ses propres idées. Quand Tolstoï a écrit la première esquisse d'« Anna Karenine », Anna était une femme antipathique et sa fin tragique n'était que justifiée et méritée.
La version définitive du roman est bien différente. Mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre‑temps ses idées morales ; je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa propre conviction morale. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l'écoute de cette sagesse suprapersonnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs oeuvres devraient changer de métier.
Mais qu'est‑ce que cette sagesse, qu'est‑ce que le roman ? Il y a un proverbe juif admirable : « L'homme pense, Dieu rit. » Inspiré par cette sentence, j'aime imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et que c'est ainsi que l'idée du premier grand roman européen est née. Il me plait de penser que l'art du roman est venu au monde comme l'écho du rire de Dieu.
Mais pourquoi Dieu rit‑il en regardant l'homme qui pense ? Parce que l'homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l'un s'éloigne de la pensée de l'autre. Enfin, parce que l'homme n'est jamais ce qu'il pense être. C'est à l'aube des Temps modernes que cette situation fondamentale de l'homme, sorti du Moyen Age, se révèle : Don Quichotte pense, Sancho pense, et non seulement la vérité du monde mais la vérité de leur propre moi se dérobe à eux. Les premiers romanciers européens ont vu et saisi cette nouvelle situation de l'homme, et ils ont fondé sur elle l'art nouveau, l'art du roman.
François Rabelais a inventé beaucoup de néologismes qui sont ensuite entrés dans la langue française et dans d'autres langues, mais un de ces mots est resté oublié et on peut le regretter. C'est le mot agélaste ; il est repris du grec et veut dire : celui qui ne rit pas, qui n'a pas le sens de l'humour. Rabelais détestait les agélastes. Il en avait peur. Il se plaignait que les agélastes fussent si atroces à son égard qu'il avait failli cesser d'écrire, et pour toujours.
Il n'y a pas de paix possible entre le romancier et l'agélaste. N'ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire, que tous les hommes doivent penser la même chose et qu'eux‑mêmes sont exactement ce qu'ils pensent être. Mais c'est précisément en perdant la certitude de la vérité et le consentement unanime des autres que l'homme devient individu. Le roman, c'est un paradis imaginaire des individus. C'est le territoire où personne n'est possesseur de la vérité, ni Anna ni Karenine, mais où tous ont le droit d'être, et Anna et Karenine. C'est dans l'art roman que l'individualisme européen, pendant quatre siècles, se confirmait, se créait, se développait.
Dans le « Tiers Livre » de Gargantua et Pantagruel, Panurge, le premier grand personnage romanesque qu'a connu l'Europe, est tourmenté par la question : doit‑il se marier ou non ? Il consulte des médecins, des voyants, des professeurs, des poètes, des philosophes, qui à leur tour citent Hippocrate, Aristote, Homère, Héraclite, Platon. Mais après toutes ces énormes recherches érudites qui occupent tout le livre, Panurge ignore toujours s'il doit ou non se marier. Nous, lecteurs, nous ne le savons pas non plus mais, en revanche, nous avons exploré sous tous les angles possibles la situation aussi comique qu'élémentaire de celui qui ne sait pas s'il doit ou non se marier.
L'érudition de Rabelais, si grande qu'elle soit, a donc un autre sens que celle de Descartes. La sagesse du roman est différente de celle de la philosophie. Le roman est né non pas de l'esprit théorique mais de l'esprit d'humour. Un des de l'Europe est de n'avoir jamais compris l'art le plus européen ‑ le roman ; ni son esprit, ni ses immenses connaissances et découvertes, ni l'autonomie de son histoire. L'art inspiré par le rire de Dieu est, par essence, non pas tributaire mais contradicteur des certitudes idéologiques. A l'instar de Pénélope, il défait pendant la nuit la tapisserie que des théologiens, des philosophes, des savants ont ourdie la veille."
05:57 Publié dans où je lis, politique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : kundera, europe, roman
02/11/2018
Humaniste ?
- Mais, à part ça, tu te sens un peu humaniste, tout de même ? Un tout petit peu ?
- M'ouais...
- C'est pas une réponse, ça, c'est un grommellement.
- Comme Eastwood. Un tout petit peu humaniste, comme Eastwood.
- Ah, oui... Le Eastwood de "Mémoires de nos pères", le Eastwood de "Invictus"...…
- Nan, plutôt le Eastwood de "Gran Torino".
- Bien sûr, cette fin, où il se sacrifie, comprenant enfin...
- Non. Le Eastwood du début de "Gran Torino". Juste le début. Après, ça cesse d'être drôle.
14:52 Publié dans a.2) MES TEXTES, politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : humanisme, eastwood, clint eastwood, gran torino
05/10/2018
Droite & gauche
22:11 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : apocalypse now, marlon brando, brando, dominique de roux, de roux, gauche, droite
29/05/2018
Europitalia...
09:42 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, italie, juncker, la planète des singes
18/05/2018
La violence et l'ennui (et l'amour)
05:30 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la violence et l'ennui, léo ferré, ferré, black bloc, violence, amour, sébastien tellier
24/04/2018
Pendant ce temps-là...
09:49 Publié dans a.1) MES LIVRES, où sont rangées diverses notules incasables, politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toulouse, librairie, nantes, zad, grégoire damon, fast-food
13/12/2017
Réponse à Paul Eluard
Quand vous dites
Qu’il faut marcher avec ceux qui construisent le printemps
Pour les aider à ne pas être seuls
Et pour ne pas être seul soi-même
Dans sa tour de pierre
Dévoré de lierre
Je vous donne raison
Et quand vous dites
Qu’on n’a de raison d’être
Que pour les autres êtres
Vous avez raison vous avez raison
Et quand vous dites
Qu’il faut chanter le monde pour le transformer
Et pour l’expliquer et pour le sauver
Et pour vivre non seulement dans sa bulle de savon
Mais dans la haine de l’injustice
Et pour un but incarné comme un champ de blé
Vous avez raison vous avez raison
Mais je sais
Qu’une étreinte fraternelle sans patrie ni parti
Est plus forte que toutes les doctrines des docteurs
Mais je sais
Que pour libérer l’homme des haltères de misère
Il ne suffit pas de briser les idoles
Pour en mettre d’autres à leur place publique
Mais qu’il faut piocher et piocher sans fin jusqu’au fond de l’abcès
Et boire ce calice jusqu’à la lie
On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées
On ne libère pas l’homme de son corset de fer
En le plongeant dans un vivier de baleines
On ne libère pas l’homme de ses maudits États
En le condamnant à vie par un modèle d’État
La vérité n’est pas un marteau que l’on serre dans sa main
Fût-ce une main de géant plein de bonne volonté
Mais la vérité c’est par quoi nous sommes façonnés
Mais la vérité c’est par quoi nous sommes éclairés
Quand par la nuit sans suite les mots jaillissent de nos lèvres
Pour apaiser les hommes suspendus à leur vide
Paul Valet
16:39 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul valet, paul éluard
27/11/2017
Vrac de vrac # 46
Une fois n'est pas coutume, je partage un lien vers un article politique assez remarquable et signé Christophe Guilluy.
On enchaînera avec un texte de Pierre Jourde essentiel (penser à le garder sous le coude dans le cas où mon roman au Dilettante me vaudrait quelques attaques).
Autrement, revenons à nos moutons :
14:33 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christophe guilluy, daniel johnston, the story of an artist
19/08/2017
Et...
00:05 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (1)