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16/02/2024

" Patage ignorant sa nature de patate..."

Voici plus de vingt ans que j’ai commencé à étudier et à pratiquer le zen dans un esprit de cupidité et d’auto-satisfaction rapaces. Je me suis aussitôt mis à lire des centaines de livres sur le sujet, presque tous contemporains et imprégnés d’une authentique médiocrité. Nulle part il n’existait un organisme vivant plus autoréférentiel que moi, patate ignorant sa nature de patate.

Bien sûr, les années ont vite passé, sinon brutalement. Je pratiquais parce que j’aime la vie et que cela me semblait la meilleure manière pour moi d’aller au  cœur des choses. Nous sommes davantage que des mouches en train de crever dans un chiotte, même si nous sommes aussi cela. Il y a des centaines de manière de glisser d’un coussin, mais une seule de s’y asseoir. Le zen est le  véhicule de la réalité et je le trouve autant chez Wordsworth que dans les textes du Chan. Comme je l’ai déjà dit, il est facile de prendre la plomberie pour le fleuve. Nous autres Occidentaux ignorons volontiers nos traditions littéraires, tandis que les adeptes orientaux du zen ont toujours été industrieux et syncrétiques, désireux de serrer contre leur cœur la poésie, Confucius et le taoïsme. Difficile de trouver un meilleur kôan que le passage  où Achab, confronté à la blancheur d’une baleine, contemple deux océans de part et d’autre de l’énorme tête.

(…) Le lecteur se souviendra bien sûr que je suis poète et que nous divaguons volontiers dans ces parages où la vie est davantage qu’elle ne semble être. Je ne me prends en aucun cas pour un bouddhiste zen, étiquette trop commode et inepte, doublée d’un sévère obstacle pour un homme toute sa vie obsédé par l’art plutôt que par la religion. Robert Aiken Roshi, par exemple, est bouddhiste zen. Moi, je suis toujours un imbécile. Au début de l’adolescence, je me suis gavé de théologie protestante et je remarque, selon les termes de Coleridge, que telles des araignées nous filons la toile du mensonge par notre gros cul flasque, qu’elle s’autorise de Jésus ou du Bouddha.

La pratique procède néanmoins par accumulation, et quelles créatures zen m’ont ainsi ouvert les portes ? Peter Matthiessen, Gary Snyder, Kobun Chino Sensei, Bob Watkins, Dan Gerber et Jack Turner, parmi les plus importants.

(…) Pour écrire un poème, il faut d’abord fabriquer un crayon qui écrira ce que vous voulez dire. Pour le meilleur comme pour le pire, c’est l’œuvre d’une vie. 

 

Jim Harrisson, « Une heure de jour en moins » (trad. Brice Matthieussent)

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14/10/2023

Hubert Reeves

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Je pense que l'humanité n'est pas nécessairement la favorite de la nature, que l'humanité peut très bien disparaître, que nous ne sommes pas une espèce sacrée, qu'il y a eu 10 millions d'espèces animales jusqu'ici, que neuf millions ont été éliminées... On n'est pas l'espèce élue, comme on l'a cru pendant longtemps ; la nature peut très bien se passer de nous. Et elle ne nous éliminera pas ; c'est nous qui pourrions nous éliminer. Et si nous nous éliminons, la nature ne fera pas particulièrement un deuil, mais elle continuera à développer d'autres espèces, en espérant que ces espèces seront plus en mesure de se préserver et de ne pas se détruire.

05:46 Publié dans Boussole | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : reeves, hubert reeves

19/09/2023

"Quadruplez la dose..."

baudelaire,eugène sue,paul féval,conseils aux jeunes littérateurs

Plusieurs de ceux que j’aime et que j’estime s’emportent contre les popularités actuelles, - Eugène Sue, Paul Féval, - des logogriphes en action ; mais le talent de ces gens, pour frivole qu’il soit, n’en existe pas moins, et la colère de mes amis n’existe pas, ou plutôt elle existe en moins, - car elle est du temps perdu, la chose du monde la moins précieuse. La question n’est pas de savoir si la littérature du coeur ou de la forme est supérieure à celle en vogue. Cela est trop vrai, pour moi du moins. Mais cela ne sera qu’à moitié juste, tant que vous n’aurez pas dans le genre que vous voulez installer autant de talent qu’Eugène Sue dans le sien. Allumez autant d’intérêt avec des moyens nouveaux ; possédez une force égale et supérieure dans un sens contraire ; doublez, triplez, quadruplez la dose jusqu’à une égale concentration, et vous n’aurez plus le droit de médire du bourgeois, car le bourgeois sera avec vous. "

Baudelaire, Conseils aux jeunes littérateurs

 

11/03/2023

Luc Dietrich à René Daumal

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18 février 1944 (Montredon)
Nath, nous n'avons peut-être pas le même sang dans les veines (d'ailleurs qui sait ?) mais je te considère, je te regarde, je te sens de plus en plus comme un frère. Penser à toi m'est bon, m'est cher et salutaire et à lire ton écriture, à trouver une lettre de toi dans le courrier, je ressens toujours la même joie, la même qualité de satisfaction qu'en 1941 lorsque tu m'écrivais d'Allauch à la pharmacie Lief au Plateau des Assis comme tu le dis. (...)
Comme un anarchiste prépare sa bombe, je te destine une pancarte détonante. Il faut que notre amitié soit forte pour que je puisse (je parle de la pancarte) t'écrire de telles choses et toi les accepter et les reconnaître. Je te la remettrai à Paris et à charge de revanche. "Le grand secret du bonheur c'est d'être bien avec soi-même." Fontenelle.
 
Luc Dietrich à René Daumal

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04:37 Publié dans Boussole | Lien permanent | Commentaires (0)

01/03/2023

"L'histoire..."

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L'histoire est un cauchemar dont je cherche à m'éveiller. 
James Joyce

(Ill : The Great Offensive, Samuel Begg, 1916)

 

04/02/2023

"Point cardinal"

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Si passé quarante ans je continue à lire, à vraiment aimer ça, c’est à Perros que je le dois. Il a été (par ses livres), le seul qui m’ait conseillé à temps, qui ait eu le bon livre, au bon moment. Il me rabrouait, mais savait aussi étayer, donner le coup de pouce. Quand on cherche et qu’on est seul – on l’est finalement souvent -, nos amis ne nous sont d’aucun secours, même âge, mêmes codes, mêmes limites ; quand on désespère un peu de ses confusions, on est vraiment très, mais très content, d’entrer chez son libraire à l’enseigne des Poèmes bleus, 3, rue des Papiers Collés. On prend un livre, on discute, Perros en fait le tour. On sort avec. (…)
Une lecture renouvelée des "Papiers collés" cela ne fait peut-être pas une trouée de première importance dans le savoir, mais plutôt dans le doute. Cela chasse vite les nuages de l’assurance. (Vive le ciel bleu des dilettantes !) Savoir assez vite qu’on sera toujours à côté, toujours du dimanche, qu’on joue en amateur, presque hors-jeu, c’est un vrai cadeau. Perros vous laisse votre chance. Elle est infime, mais c’est la vôtre. Votre vérité, son dénuement.
Comme Brice Parain, il est un éveilleur. C’est la vie et la littérature en secondes noces. C’est, je crois pour cela, qu’on le tire tous à soi. C’est qu’on l’aime, mais comme la vie, chacun à sa manière. Cela peut sembler agaçant. C’est égal. Ce besoin de s’authentifier en lui en vaut bien d’autres. Il ne s’agit que de s’espérer moins lâche, moins rat. Espérer voir naître une sorte de morale, de ligne de vie, de prière ou d’aveu éprouvés à la mesure de chacun. Ce n’est pas rien.
Perros était un point cardinal. (…) On ne peut plus se passer de lire après l’avoir lu. Lire devient une façon de s’effacer, de se perdre, de se dissoudre. C’est une épreuve nécessaire. Un exercice d’assouplissement et d’oubli de soi. C’est un lien multiple : fatigant, vain, simple, fondateur, serein, souverain. Quand on aime lire comme on aime physiquement, de façon irrépressible, en don, en s’oubliant, c’est qu’on sait lire. Alors la lassitude, le blanc de la pensée s’effacent. Ce sont de très bons moments décollés.
Il nous dit à chaque page que la lecture n’endort rien, au contraire. Qu’elle est le meilleur moyen de se mettre en panne. Qu’elle n’est ni du côté de l’esthétisme, ni de l’effusion, ni du gros rire. Plutôt proche d’une sorte d’apitoiement contrôlé, pudique, peu bavard. C’est le côté russe de Perros – disciple de Valéry dégringolé chez Tchekhov (qu’il a traduit) -, ancien cœur sec, devenu tremblé, moujik.
On peut aussi le lire comme une petite philocalie du cœur. C’est, comme il le dit, la quête de la poésie dans l’homme proche, « le poème de l’homme sans poème ». Tant qu’on peut s’en référer à lui, c’est qu’on peut encore connaître la honte. On doit être un peu moins menteur avec ses livres dans la poche. Ou si l’on ment, c’est à nos risques : ne plus pouvoir le lire. (…)
Comment dire sans trop en faire ? Cette familiarité où il nous entraîne est une exigence, une urgence. Il n’est pas installé, il écrit debout, donne l’impression d’écrire entre deux portes. Il a dû faire la preuve par neuf qu’on vous paye à la valeur qu’on vous reconnaît. Je sais, la Littérature a toujours eu ses pauvres. Ce sont quelquefois ses maîtres. (…)
Côté librairie, il se vend plutôt mal. Les auteurs qu’il nous vante aussi. (…)
Journalier – la vie est un fait divers avec des miracles – il était notre Fénéon par Renard, Paulhan, Calet interposés. Une écriture peu commune. Mais il était aussi proche de Vilar et de Gérard Philipe. Reste de tout ce temps, la voix, le timbre, l’ampleur, le phrasé. C’est d’une présence indéniable. A lire ses textes tout haut, on y sent une pensée à l’état natif se parlant, sans aucune tutelle de l’écrit. Il y a là une force décidée, souterraine, un fondu respiré qui donne envie d’essayer à son tour sa pensée, d’en chercher l’accord. Sans l’imiter – ce serait idiot ! C’est un maître de chant, respiratoire, non scolaire, tonique. La justesse du ton vous surprend, vous prend, vous réveille, vous révèle.
(…) Pudique, en état de précarité permanent, entretenant par sa lecture professionnelle une sorte de couvre-feu quotidien, il n’a pu, conscient très tôt de la vanité et du dérisoire des parades, qu’habiter les traces qu’il se laissait. En mettant ses pas dans les mots des autres, en parole et dans la vie, il a peu à peu recouvert son œuvre poétique. Il n’a pas voulu apparaître où nous l’attendions, ayant bien avant nous tous épuisé les formes connues de la poésie.
(…) Il avait dû toucher de très près ces finistères que la plupart approchent mais finalement évitent. Comme ces plantes rases des côtes les plus désolées de Bretagne, les cailloux frappés de Perros n’opposent plus maintenant qu’une seule couleur, mais saturée, presque chamanique, au temps, au vent et à son sel. Peu à peu sous le poète grandissait l’homme ordinaire qu’il a appelé toute sa vie. »
 
Patrick Cloux, LE GRAND ORDINAIRE, éditions Le temps qu’il fait
 

20/01/2023

F.F. né un 20 janvier

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Le fait est que j’ai l’impression de n’avoir jamais rien décidé dans ma vie, bien que je fasse depuis toujours un métier où je suis obligé de prendre mille décisions par jour. Mais ce sont là des décisions qui m’appartiennent, je les identifie facilement, ce ne sont pas des décisions, c’est comme suivre des choses déjà décidées. 
 
Lettre de Fellini (né un 20 janvier) à Simenon
 

28/10/2022

Monsieur Philippe

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En 1863, un savoyard de 14 ans arrive à Lyon (plus précisément à la Croix-Rousse, au 22 rue d’Austerlitz) pour aider son oncle boucher. Rien de que de très banal dans ce « voyage à la ville » effectué à pieds par Nizier Anthelme Philippe. Ce qui est beaucoup moins banal, est la personnalité de ce jeune garçon. « Personnalité » non au sens d’ego, car Philippe n’a rien d’un Rastignac débarqué dans une ville qu’il rêverait de conquérir. Son ambition est autre. Ses capacités sont autres.
Quand démarre le destin d’un homme ? Dans le cas de Philippe, avant sa naissance, puisque sa mère enceinte ne trouve rien de mieux à faire que de consulter… le Curé d’Ars. Sa naissance et son baptême furent entourés de phénomènes (sur)naturels marquants pour ceux qui en furent les témoins (parfois gênés). « J’ignore tout de moi. Je n’ai jamais compris ni cherché à m’expliquer mon mystère. J’avais six ans à peine et déjà le curé de mon village s’inquiétait de certaines manifestations dont je n’avais pas conscience… J’opérais des guérisons dès l’âge de treize ans, alors que j’étais encore incapable de me rendre compte des choses étranges qui s’opéraient en moi. ». Ce commentaire sur sa prime jeunesse, Philippe le délivrera aux non-initiés. À ses disciples, il apportera d’autres précisions.
À la Croix-Rousse donc, le jeune Philippe fait le livreur pour son oncle boucher. Et l’infirmier miraculeux quand son parent se blesse grièvement une main. Cette fois, ce n’est plus dans un village savoyard mais dans la ville de Lyon que la rumeur va se propager. Et amplifier d’années en années. Philippe soigne, guérit, sauve. Il n’est pas encore majeur.
D’une rare humilité, Philippe n’aspire qu’à apprendre… Son chemin ne sera pas pour autant parsemé de pétales de roses. Au contraire même, les obstacles ne tardent pas à se dresser sur sa route. Inscrit comme auditeur libre à la Faculté de Médecine de Lyon, il fait des merveilles… en même temps qu’il se fait des ennemis. Sa capacité à diagnostiquer les malades ou à les soigner (sans même les toucher parfois) ne laisse pas étudiants et professeurs indifférents. La gratitude de certains sera à l’égal de la jalousie des autres. Philippe sortira de l’Hôtel-Dieu non diplômé, ce qui ne l’empêchera pas d’ouvrir, à 23 ans, son premier cabinet de guérisseur au 8 boulevard des Belges.
Il n’existe pas d’instrument pour mesurer la souffrance d’une société, la souffrance d’une ville. Il n’existe pas d’instrument pour mesurer la souffrance dont Monsieur Philippe (puisque c’est ainsi qu’on s’est mis à l’appeler) a soulagé des milliers de lyonnais : de la jeune fille atteinte d’une double embolie pulmonaire et amenée sur une civière à l'ouvrier qui a perdu un doigt dans une machine (et qui va le recouvrer!), de la gamine qui retrouve l'usage de ses jambes au trois soldats guéris de la typhoïde.
En 1877, après avoir habité place Croix-Paquet puis au 7 rue de Créqui, Monsieur Philippe emménage au Clos Landar, à l’Arbresle, avec sa jeune épouse (l’une des riches consultantes qu’il a soignées).
En 1885, il ouvre un cabinet au 35 de la rue Tête-d’Or. Il y a son cabinet, et il y a son laboratoire (qui sera domicilié au 6 rue du Bœuf puis au 13 de la Montée Saint-Sébastien). Pas mal pour quelqu’un qui affirme : « Je ne suis rien, absolument rien. »
Les jaloux fulminent, enquêtent, font des procès (quatre, pour exercice illégal de la médecine), les mères pleurent de joie en voyant leur enfant qu’elles croyaient condamné marcher à nouveau… Au fil du temps, Monsieur Philippe devient Maître Philippe. Aux yeux des autres. Lui, ne décide ni ne décrète rien en ce qui le concerne. Que l'on apprécie sa (fausse?) bonhommie, que l'on pointe du doigt sa consommation excessive d'alcool, de tabac, ses prédictions (la destruction de Lyon, le renversement des pôles), il n'en a cure.
Des puissants, bien au-delà des limites de la ville voire des frontière françaises, se montrent intéressés par les échos qui leur remontent au sujet de ce thaumaturge : Guillaume II (le Kaiser aurait vu Maître Philippe se rendre invisible), Edouard VII d'Angleterre, et surtout le Tsar Nicolas II et sa femme, auprès desquels il joua un rôle important avant d'être remplacé par un nommé Raspoutine.. au moins l'expérience lui aura-t-elle valu un titre officiel de médecin, lors qu'il n'avait pas le droit d'exercer dans notre pays.
De retour à Lyon, Maître Philippe fera ce qu'il a toujours fait : soigner de façon bénévole et quasi "à la chaîne".
Le décès soudain de sa fille, âgée de 25 ans, lui portera un coup terrible. Il ne lui survivra pas un an et décèdera le 2 août 1905.
Quatorze années après sa mort, la Tsarine laissera sur les murs de sa dernière demeure (la maison Ipatieff) l'inscription : "Maître Philippe avait raison !".
 
F.Houdaer
 

13/09/2022

"Don't fight your demons..."

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Don't fight your demons. Your demons are here to teach you lessons. Sit down with your demons and have a drink and a chat and learn their names and talk about the burns on their fingers and scratches on their ankles. Some of them are very nice. 
 
Charles Bukowski