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01/10/2025

"Il est arrivé devant ma porte une nuit..."

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Il est arrivé devant ma porte une nuit, mouillé, maigre, blessé et terrifié : un chat blanc, louche, sans queue. Je l’ai fait entrer, je lui ai donné à manger… et il est resté.
Il a fini par me faire confiance, jusqu’au jour où un ami a monté la rampe du garage… et l’a renversé.
J’ai emmené ce qu’il restait de lui chez le vétérinaire, qui m’a dit : « Il n’a pas beaucoup de chances… donne-lui ces comprimés… sa colonne est brisée ; elle l’était déjà avant, mais d’une manière ou d’une autre, elle s’était ressoudée. S’il survit, il ne marchera Jamais. Regardez ces radios : on lui a tiré dessus, là, voyez ? Les plombs sont encore là… Et autrefois, il avait une queue, mais quelqu’un la lui a coupée… »
Je suis rentré avec le chat. C’était un été brûlant, l’un des plus chauds depuis des décennies. Je l’ai installé sur le carrelage frais de la salle de bain. Je lui donnais de l’eau et ses médicaments, il ne mangeait pas, ne touchait même pas à l’eau. Alors je trempais mon doigt dedans pour lui humidifier la bouche.
Et je lui parlais. Je ne le quittais pas. Je passais des heures dans la salle de bain à lui parler doucement, à le toucher avec délicatesse. Il me regardait de ses yeux clairs, bleus et louches. Et les jours ont passé.
Un jour, il a bougé : il s’est traîné en avant avec ses pattes avant, les arrière ne répondaient pas. Il a réussi à atteindre la litière, à s’y hisser tant bien que mal. C’était comme si une trompette sonnait la victoire, dans la salle de bain et dans toute la ville.
Je me suis vu en lui. Moi aussi, j’en avais bavé — pas autant, mais assez quand même.
Et puis, un matin, il s’est levé. Il a tenu debout, est retombé, m’a regardé.
« Tu peux le faire », je lui ai dit.
Il a continué, tombait, se relevait, jusqu’à ce qu’enfin, il fasse quelques pas. Il titubait comme un ivrogne ; ses pattes arrière refusaient d’obéir, il retombait, se reposait… puis recommençait.
Tu connais la suite : aujourd’hui il va mieux que jamais — toujours louche, presque édenté, mais il a retrouvé sa grâce. Et ce regard… ce regard n’a jamais disparu.

Et parfois, on m’invite à des interviews. On veut m’entendre parler de la vie, de la littérature. Alors je suis un peu ivre, je prends dans mes bras mon chat louche, criblé de plombs, écrasé et sans queue, et je leur dis :

« Regardez, regardez ça ! »

Mais ils ne comprennent pas. Ils disent des trucs comme :

« Et vous dites que Céline vous a influencé ? »
« Non », je réponds. Et je soulève le chat :
« C’est ça qui m’influence. Ce genre de choses. Cela, lui ! »
Je le secoue doucement, je le tiens dans la lumière trouble et alcoolisée, il reste calme. Il sait.
C’est là que l’interview se termine. Et même si parfois je ressens une certaine fierté quand je vois les photos ensuite — moi, et lui, ensemble sur l’image… Lui aussi sait que tout cela est idiot. Mais que d’une manière ou d’une autre, ça aide. »
 
Charles Bukowski
 

30/06/2025

Centenaire de Jaccottet

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A partir de l’incertitude avancer tout de même. Rien d’acquis, car tout acquis ne serait-il pas paralysie? L’incertitude est le moteur, l’ombre est la source. Je marche faute de lieu, je parle faute de savoir, preuve que je ne suis pas encore mort. Bégayant, je ne suis pas encore terrassé. Ce que j’ai fait ne me sert à rien, même si ce fut approuvé, tenu pour une étape accompli. “Magicien de l’insécurité le poète”..., juste parole de Char. Si je respire, c’est que je ne sais toujours rien. “Terre mouvante, horrible, exquise”, dit encore Char. Ne rien expliquer, mais prononcer juste.
Comment recommencer pourtant ? Tout est là. Par quel chemin détourné, indirect? Par quelle absence de chemins? A partir du dénuement, de la faiblesse, du doute. Avec l’aide de l’oubli de ce qui fut fait, du mépris de ce qui est fait et applaudi, conseillé ou intimé aux écrivains d’aujourd’hui.
En particulier par défi à l’aplatissement des âmes. Non point les défroques des princes, des chevaliers, mais leur fierté, leur réserve. Il n’est pas de poésie sans hauteur. De cela au moins je suis sûr, et fort de cette assurance à défaut d’une autre force. Mais pas de château: les rues, les chambres, les chemins, notre vie. 
 
Philippe JACCOTTET (cent ans aujourd'hui !)
 

14/04/2025

"Suis-je en train..."

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Suis-je en train de devenir raisonnable ou de me laisser mater ?
Je découvre simplement que la vie a plusieurs facettes, qu'elle est complexe et déconcertante.
Je croyais qu'il suffisait de la prendre à la gorge.
La vie n'a pas de gorge ! 

H. G. Wells
(photo : Peter Henry Emerson, 1886)

 

06:14 Publié dans Boussole | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : wells, emerson

07/04/2025

Je ne peux m'empêcher de penser...

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Je ne peux m'empêcher de penser que celui qui découvre jusque dans l'existence des vers, une certaine proportion de souffrance et de mal inséparablement entrelacés, supportera son propre lot avec plus de courage et de résignation.
 
Thomas Henry Huxley, 1854
 

16/02/2024

" Patage ignorant sa nature de patate..."

Voici plus de vingt ans que j’ai commencé à étudier et à pratiquer le zen dans un esprit de cupidité et d’auto-satisfaction rapaces. Je me suis aussitôt mis à lire des centaines de livres sur le sujet, presque tous contemporains et imprégnés d’une authentique médiocrité. Nulle part il n’existait un organisme vivant plus autoréférentiel que moi, patate ignorant sa nature de patate.

Bien sûr, les années ont vite passé, sinon brutalement. Je pratiquais parce que j’aime la vie et que cela me semblait la meilleure manière pour moi d’aller au  cœur des choses. Nous sommes davantage que des mouches en train de crever dans un chiotte, même si nous sommes aussi cela. Il y a des centaines de manière de glisser d’un coussin, mais une seule de s’y asseoir. Le zen est le  véhicule de la réalité et je le trouve autant chez Wordsworth que dans les textes du Chan. Comme je l’ai déjà dit, il est facile de prendre la plomberie pour le fleuve. Nous autres Occidentaux ignorons volontiers nos traditions littéraires, tandis que les adeptes orientaux du zen ont toujours été industrieux et syncrétiques, désireux de serrer contre leur cœur la poésie, Confucius et le taoïsme. Difficile de trouver un meilleur kôan que le passage  où Achab, confronté à la blancheur d’une baleine, contemple deux océans de part et d’autre de l’énorme tête.

(…) Le lecteur se souviendra bien sûr que je suis poète et que nous divaguons volontiers dans ces parages où la vie est davantage qu’elle ne semble être. Je ne me prends en aucun cas pour un bouddhiste zen, étiquette trop commode et inepte, doublée d’un sévère obstacle pour un homme toute sa vie obsédé par l’art plutôt que par la religion. Robert Aiken Roshi, par exemple, est bouddhiste zen. Moi, je suis toujours un imbécile. Au début de l’adolescence, je me suis gavé de théologie protestante et je remarque, selon les termes de Coleridge, que telles des araignées nous filons la toile du mensonge par notre gros cul flasque, qu’elle s’autorise de Jésus ou du Bouddha.

La pratique procède néanmoins par accumulation, et quelles créatures zen m’ont ainsi ouvert les portes ? Peter Matthiessen, Gary Snyder, Kobun Chino Sensei, Bob Watkins, Dan Gerber et Jack Turner, parmi les plus importants.

(…) Pour écrire un poème, il faut d’abord fabriquer un crayon qui écrira ce que vous voulez dire. Pour le meilleur comme pour le pire, c’est l’œuvre d’une vie. 

 

Jim Harrisson, « Une heure de jour en moins » (trad. Brice Matthieussent)

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14/10/2023

Hubert Reeves

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Je pense que l'humanité n'est pas nécessairement la favorite de la nature, que l'humanité peut très bien disparaître, que nous ne sommes pas une espèce sacrée, qu'il y a eu 10 millions d'espèces animales jusqu'ici, que neuf millions ont été éliminées... On n'est pas l'espèce élue, comme on l'a cru pendant longtemps ; la nature peut très bien se passer de nous. Et elle ne nous éliminera pas ; c'est nous qui pourrions nous éliminer. Et si nous nous éliminons, la nature ne fera pas particulièrement un deuil, mais elle continuera à développer d'autres espèces, en espérant que ces espèces seront plus en mesure de se préserver et de ne pas se détruire.

05:46 Publié dans Boussole | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : reeves, hubert reeves

19/09/2023

"Quadruplez la dose..."

baudelaire,eugène sue,paul féval,conseils aux jeunes littérateurs

Plusieurs de ceux que j’aime et que j’estime s’emportent contre les popularités actuelles, - Eugène Sue, Paul Féval, - des logogriphes en action ; mais le talent de ces gens, pour frivole qu’il soit, n’en existe pas moins, et la colère de mes amis n’existe pas, ou plutôt elle existe en moins, - car elle est du temps perdu, la chose du monde la moins précieuse. La question n’est pas de savoir si la littérature du coeur ou de la forme est supérieure à celle en vogue. Cela est trop vrai, pour moi du moins. Mais cela ne sera qu’à moitié juste, tant que vous n’aurez pas dans le genre que vous voulez installer autant de talent qu’Eugène Sue dans le sien. Allumez autant d’intérêt avec des moyens nouveaux ; possédez une force égale et supérieure dans un sens contraire ; doublez, triplez, quadruplez la dose jusqu’à une égale concentration, et vous n’aurez plus le droit de médire du bourgeois, car le bourgeois sera avec vous. "

Baudelaire, Conseils aux jeunes littérateurs

 

11/03/2023

Luc Dietrich à René Daumal

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18 février 1944 (Montredon)
Nath, nous n'avons peut-être pas le même sang dans les veines (d'ailleurs qui sait ?) mais je te considère, je te regarde, je te sens de plus en plus comme un frère. Penser à toi m'est bon, m'est cher et salutaire et à lire ton écriture, à trouver une lettre de toi dans le courrier, je ressens toujours la même joie, la même qualité de satisfaction qu'en 1941 lorsque tu m'écrivais d'Allauch à la pharmacie Lief au Plateau des Assis comme tu le dis. (...)
Comme un anarchiste prépare sa bombe, je te destine une pancarte détonante. Il faut que notre amitié soit forte pour que je puisse (je parle de la pancarte) t'écrire de telles choses et toi les accepter et les reconnaître. Je te la remettrai à Paris et à charge de revanche. "Le grand secret du bonheur c'est d'être bien avec soi-même." Fontenelle.
 
Luc Dietrich à René Daumal

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04:37 Publié dans Boussole | Lien permanent | Commentaires (0)

01/03/2023

"L'histoire..."

1916 entitled ‘The Great Offensive’ by Samuel Begg.jpg

L'histoire est un cauchemar dont je cherche à m'éveiller. 
James Joyce

(Ill : The Great Offensive, Samuel Begg, 1916)