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12/02/2014

Rencontres avec des z'hommes remarquables # 2 : JEAN-JACQUES NUEL

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Cher Jean-Jacques... contrairement à Jean-Marc Luquet, tu as été auteur avant de fonder les éditions Le Pont du Change. Pour autant, même devenu éditeur, tu n’as jamais cessé d’écrire (et de publier). Quelle que soit la casquette sous laquelle tu te présentes, comment pourrait-on spécifier ton aventure éditoriale ? Est-elle résumable ? As-tu eu des mentors, maîtres Jedi, modèles (raye la mention inutile) ? Rétrospectivement, que penses-tu avoir défendu jusqu’à présent ? Avais-tu « un plan » dès le départ ?

Waouh, que de questions ! Répondre n’est pas simple, car les choses ne sont pas si claires. Si je savais où je vais, je serais déjà arrivé ! Fondamentalement, je suis auteur, et n’ai jamais cessé d’écrire depuis 45 ans. C’est ma véritable identité. Mais comme tu le sais, l’écriture est une longue errance solitaire, surtout quand on a choisi de ne faire aucune concession aux modes et aux genres convenus pour trouver sa propre voix, originale, quel que soit le temps qu’il faudra pour ça. J’ai donc eu depuis longtemps le besoin d’une activité littéraire qui me mette en relation avec les autres, et l’envie de faire connaître des auteurs que j’apprécie et dont on ne parle pas assez. En 1993 j’ai créé une revue littéraire, Casse, qui a tenu 4 ans et publié 21 numéros. Les éditions Le Pont du Change, créées en 2009, en sont le prolongement.

C’est de la petite édition, avec une production restreinte (2 à 3 livres seulement par an pour bien pouvoir m’en occuper). Dès le départ, je ne voulais pas me limiter à la poésie - comme dans ce que j’écris d’ailleurs, où se mêlent humour, étrange et poésie. Je n’ai aucune autre ligne éditoriale que mes goûts personnels et publie des œuvres très diverses, des haïkus, des poèmes, des nouvelles, des chroniques d’humour, un conte… ce sont les lecteurs qui trouvent dans ce choix une certaine unité, alors que je ne la cherche pas a priori.

Oui, Jean-Jacques, tu me précises (car tu es AUSSI quelqu’un de précis) que 2 à 3 livres par an sortent au Pont du Change depuis cinq années. Et tu poses d’entrée la question de l’échelle. J’en connais, des « petits éditeurs », qui finissent par donner dans la fuite en avant et la multiplication des titres communément observées dans l’édition en général (il y a peu de temps, une enseignante me parlait d’Actes Sud comme d’un « petit éditeur courageux de province » !). C’est un grief que l’on ne peut pas te tenir. Le Pont du Change présente une véritable identité éditoriale. Tu y es le seul maître à bord. Est-ce à dire, à l’instar d’un autre éditeur lyonnais (Pierre-Jean Balzan et sa « Fosse aux ours », un autre « poor lonesome f… publisher » mais oeuvrant dans le roman quant à lui, c’est-à-dire presque dans un autre monde) que tu conçois ton exercice d’éditeur comme un exercice aussi solitaire que celui de l’écriture, ou que tu vois dans cette aventure une dimension plus collective, déjà touchée du doigt avec la revue « Casse » ? Comment se passe le travail avec les auteurs que tu choisis, fort de ta double casquette et de tes multiples expériences passées ? Et je te repose d’une autre façon la question qui vise à te faire balancer des noms : y  a-t-il eu pour toi des rencontres déterminantes ? Des exemples à suivre (ou à ne pas suivre… car tu les sens venir, les questions biaisées…) ?

La taille des éditions : c’est d’abord une question de partage du temps. Si j’avais voulu être éditeur professionnel, je l’aurais fait depuis longtemps, et le ferais à plein temps. Là, je partage mon activité : le matin, l’écriture, puis ensuite la lecture, l’édition, etc. Peu de livres, aussi, pour accompagner les auteurs. La fuite en avant dans la surproduction est une facilité, certains éditeurs cèdent à la pression des auteurs et de leurs manuscrits et à la pression du marché, car ils espèrent toujours que le prochain livre se vendra moins mal que le précédent… Quant à mes influences (tu veux que je balance des noms…), j’aime les éditeurs qui ont une vraie politique éditoriale et des choix cohérents, par exemple Jean-Louis Massot et ses Carnets du dessert de lune, ou Hervé Bougel et son Pré Carré.

Mes choix éditoriaux sont comme mes lectures : éclectisme, et refus du sectarisme. Je crains autant le sectarisme des gens de droite qui ne lisent pas Guy Debord, que le sectarisme des gens de gauche incapables d’ouvrir un livre de Léon Bloy ou de Bernanos.

Mon travail avec les auteurs, j’aimerais le placer sous le signe de la confiance et de la lucidité. S’ils ont des illusions, ça se passera mal. J’ai renoncé une fois à publier un auteur qui, outre qu’il contestait chaque ligne du contrat, me demandait d’augmenter ses droits d’auteur au-delà de 2000 exemplaires vendus. Sa demande n’était pas illégitime ni choquante, mais elle trahissait une totale méconnaissance de la réalité de la petite édition, car quand on arrive à vendre 200 exemplaires, c’est déjà un succès… Le travail avec les auteurs est une collaboration. Je me permets d’entrer dans leur texte, de leur faire des remarques, tout en leur laissant le dernier mot. Je leur demande de m’aider pour la diffusion, par des lectures, des signatures, etc. Jusqu’à présent j’ai évité les emmerdeurs (encore que cela n’a rien à voir avec le talent : Bukowski et Bloy, écrivains géniaux, ne me semblent pas avoir été des personnages très sympathiques !)

 

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Comme éditeur, tu déclares publier « des haïkus (Tixier), des poèmes (moi), des nouvelles (Roland Counard), des chroniques d’humour (Cottet-Emard), des contes (re-Cottet-Emard)… Il y a dans tes choix comme une volonté de récidive dans l’un des mauvais genres littéraires les plus nécessaires et les plus maltraités de notre hexagone : le texte court. Penses-tu que dans un autre pays, ta tache de « passeur » serait plus aisée ?

Ta question bienvenue me donne une rare occasion de parler du texte court : voilà par excellence un genre maudit ! On entend beaucoup pleurer les poètes, on entend beaucoup pleurer les nouvellistes (ces derniers avec raison), mais le texte court se vend aussi mal que ces autres genres, et il n’y a aucune structure pour le diffuser ou le promouvoir. Les poètes ont un grand nombre de revues poétiques, des maisons de la poésie dans toutes les régions, des festivals d’été, des résidences, un marché de la poésie à Paris, un « Printemps des Poètes » largement subventionné, des programmes de lectures, etc. Un auteur de textes courts n’a presque rien, quelques rares revues, quelques rares éditeurs (Gros Textes, par exemple, qui publie Dejaeger), peu de possibilités de se produire sur une scène, il est le « mouton noir » : les poètes ne le reconnaissent pas des leurs (alors qu’il suffirait qu’il aille à la ligne en appuyant fréquemment sur la touche ENTER de son clavier !) et les prosateurs le regardent de haut en trouvant qu’il ne pisse pas assez loin. Et pourtant, c’est un genre auquel on doit de sacrées réussites : Sternberg, Topor

Aux Etats-Unis, pays de Carver, la situation me semble meilleure pour les nouvellistes. Pour les textes plus courts, je ne sais pas.

Ton rôle d’éditeur n’a pas tué l’auteur en toi (si l’on en croit ce que tu précises de ton emploi du temps et les tiens textes que l’on retrouve régulièrement sur toutes sortes de support, de Cheyne éditeur à la revue « Fluide Glacial » !). Nous connaissons des éditeurs qui ONT écrit mais dont la plume a fini par se perdre… dieu sait où. Cet « équilibre » (ou ce savant déséquilibre), l’as-tu vite trouvé, l’as-tu mis en place à la sueur de ton front… Quels ont été pour toi les supports, les aides, pour sauver ta double-peau d’auteur et d’éditeur (tu as le droit de te répéter et/ou de te contredire dans ta réponse) ?

Mon cas n’est pas isolé : Massot (Dessert de lune) et Bougel (Pré Carré) déjà cités sont éditeurs et auteurs. Je fais exprès de citer les bons exemples car il en est de mauvais qui ont perdu leur plume en route, mais elle n’était probablement pas bien accrochée au départ… (tu ne me feras pas citer de noms, même sous la torture !) Je dois ma survie d’auteur aux revues littéraires, qui m’ont beaucoup publié depuis très longtemps. Il y a des périodiques fidèles auxquelles je collabore souvent : Microbe, La Grappe… Ma collaboration à Fluide Glacial ne concerne que mes textes les plus comiques et elle va finir, Yves Frémion arrêtant sa rubrique. Mais cela m’a vraiment rassuré et encouragé de publier épisodiquement (depuis 1991) dans un tel magazine d’humour. Internet a aussi été important, offrant un autre espace et une visibilité (limitée). J’ai ouvert un site et un blog depuis une dizaine d’années. Facebook (que je déteste en tant que véhicule à polémiques, scène ouverte des ressentiments), est un bon outil d’échange et de promotion. Internet m’a été utile en tant qu’auteur, et en tant qu’éditeur.

Aujourd’hui je ne me pose plus toutes ces questions sur mon double statut, car j’ai arrêté mon activité professionnelle, et j’ai donc du temps pour tout, pour moi (auteur) et les autres (éditeur), et j’arrive bien à gérer les deux activités. Je dirais même les trois : écrire, lire, éditer qui sont autant de portes d’entrée dans la littérature. Et la littérature (donc, pas seulement la poésie !) est ce qui compte le plus pour moi.

 

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Que peut-on souhaiter aux éditions Le Pont du Change, à présent ? Une révolution ? Une panne générale touchant tous les écrans et incitant les gens à retourner à la lecture ? François Busnels découvrant le texte court ? Des auteurs à venir qui casseront la baraque ? Quels chantiers sont en cours, pour toi ? Quelles casseroles sur le feu ?

On peut simplement souhaiter que les éditions continuent à leur rythme et que le capitaine ne se fatigue pas trop de l’aventure. Comme elles sont sous forme associative, je n’en tire aucune rémunération, le budget doit juste s’équilibrer entre les frais d’édition et les produits des ventes, et cet objectif modeste n’est déjà pas évident à tenir. Deux nouveaux recueils sont programmés en 2014 : “Heures de pointe” de Marie-Ange Sebasti, qui après une longue carrière de poète nous livre des histoires en prose d’un fantastique empreint de poésie, et un 4e recueil de Roland Tixier, “Saisons régulières”. Deux salons de prévus : Nantua et Ozoir-la-Ferrière. Après, on verra bien.

 

Site de Jean-Jacques Nuel

 

(1) : photo signée Denis Svartz

29/01/2014

Rencontres avec des z'hommes remarquables # 1 : JEAN-MARC LUQUET

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Lassé de ne pas lire dans la presse le moindre entrefilet sur les éditeurs que j’estime, j’ouvre un nouvel espace sur mon blog pour y questionner quelques « z’hommes remarquables » comme le disait Tonton Gurdjie. Le premier, à tout seigneur tout horreur, n’est autre que Jean-Marc Luquet qui, après s’être occupé pendant des années de la collection « La ligne d’horizon » aux éditions "A plus d’un titre", a créé les éditions Le Pédalo Ivre (et a poussé le vice jusqu’à m’y confier une collection de poésie !).

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Jean-Marc Luquet, tu as créé les éditions « Le Pédalo Ivre » il y a deux ans (on se dit « tu », je ne vais pas jouer à Anne Sinclair interviewant DSK à « 7 sur 7 »)… Mais avant cela, avant de commettre cette fatale erreur qui te poussera à hypothéquer ta piscine, quel a été ton parcours professionnel, intellectuel, politique… Oui, cet entretien vise à fournir à la N.S.A. de nouvelles données, mais pas seulement…

Mon parcours professionnel est simple : je suis informaticien depuis une trentaine d'années, et j'ai été libraire pendant deux ans. Quant à mon parcours politique, j'aurais tendance à sortir mon joker, à l'exception de quelques informations. Je suis sensible à l'écologie, je suis bénévole à la revue Silence et antinucléaire de longue date. Je me suis également intéressé à la critique du développement, du reste mes deux expériences d'édition sont consacrées à cela. Enfin, concernant mon parcours intellectuel, je n'aurai que deux choses à déclarer : j'ai attendu d'être quinquagénaire pour lire Albert Camus (c'est en cours), et mon rapport à la poésie contemporaine est, disons, particulier, puisque mon poète de chevet est François Villon.

Informaticien, libraire, militant antinucléaire, ton intérêt pour la critique du développement... De là à devenir éditeur, il y a un pas que tous ne franchissent pas. Tu t'es d'abord occupé de cette fameuse collection "La ligne d'horizon" aux éditions A plus d'un titre. Combien de temps a duré cette expérience ? Qu'est-ce qui l'a caractérisée ? Dans quelle mesure a-t-elle préparé la naissance des éditions Le Pédalo Ivre ? Que te restait-il à apprendre sur le tas, après tout ce que tes précédentes activités t'avaient apporté ?

En fait, tout vient de mon intérêt pour la critique du développement en général, et pour François Partant en particulier. Partant était un économiste précurseur du tiers-mondisme. Après son décès, s'est constitué l'association "La ligne d'horizon" qui tente de poursuivre son oeuvre. Dans cette association, l'une de mes activités était d'éditer des brochures et des actes de colloque, avec les moyens du bord et des résultats pas très pros. Au bout de quelques années, j'ai eu envie de faire de "vrais" livres, diffusés en librairie. 

Sur ces entrefaites, j'ai accepté la proposition de gérer une collection aux éditions "A plus d'un titre". Sont parus une demi douzaine de livres, d'abord d'auteurs avec qui j'avais travaillé, comme Ingmar Granstedt, François de Ravignan ou Serge Latouche, puis un auteur plus ancien et redécouvert, Bernard Charbonneau. J'ai d'ailleurs rencontré à cette occasion un autre directeur de collection… nommé Frédérick Houdaer. Et c'est là que j'ai vraiment appris à éditer un livre, à traquer un peu sérieusement les coquilles et à réfléchir à un tirage.  Cette expérience à duré de 2007 à 2011, quelque chose comme ça. Et c'est quand elle s'est achevée que j'ai voulu poursuivre en créant "Le pédalo ivre".

 

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Au catalogue du Pédalo Ivre, aujourd’hui, on trouve certes des livres critiques sur le développement mais aussi deux collections, l’une consacrée à la poésie et l’autre –plus récente- aux textes de chansons. Peux-tu nous présenter cette (petite) dernière ?

J'ai eu l'idée de créer cette collection suite à des discussions avec des amis poètes. Je m'étonnais de ne voir paraître que des textes poétiques écris en vers libres (ou en prose), jamais sous forme versifiée et avec un nombre de pieds répétitifs. Réponse : "ça, c'est de la chanson". Bon, j'avais l'air fin avec mon Villon ciseleur de vers à renfort d'acrostiches pour corser un peu la difficulté. Donc, autant j'ai aimé tous les ouvrages parus dans ta collection Poésie, autant j'avais aussi envie de publier des textes versifiés plus classiquement. Alors, allons-y pour une collection Textes de chanson. La formule est simple, proche de la collection Poésie : des textes de chanson, un livre au format de poche, un prix raisonnable (10 euros), diffusion en direct. Si certaines des chansons figurent sur de CD, l'ouvrage y fait référence. Un premier livre est sorti, titré "Chansons poético-tralala", de François Mallet (un lyonnais), du groupe Otchoz. Le suivant, en préparation, s'intitulera "Bons grains, cargo d'ivraie" et est écrit par un auteur de Rive de Gier sous le pseudo de Oak. Et il n'est pas impossible que paraissent un jour des recueils de chanson de certains auteurs de la collection poésie.

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Existent-ils, pour toi, des modèles de maisons d’édition ou d’éditeurs (à part Gérard de Villiers) ? Quel avenir pour le Pédalo Ivre espères-tu (dé)raisonnablement ?

Question difficile. La particularité du Pédalo ivre est d'être une "micro" maison d'édition (pas de salaire, peu de livres par an). Mes références, sans parler de modèle, sont plutôt de "petits" éditeurs qui vivent (souvent mal) de leur activité. Il y en a beaucoup en France, c'est d'une richesse et d'une diversité étonnantes. S'il faut citer des nom, et seulement à titre d'exemple, disons Parangon ou Le passager clandestin, les deux faisant un travail qui me plaît bien.

Quant à l'avenir du Pédalo ivre, il est très incertain. Il est déjà lié à l'avenir de l'objet livre papier, lui-même incertain. Ensuite, l'avenir dépend de la vente des livres, qui est modeste voire insuffisante. Mais pour l'instant, il y a encore un petit peu d'argent dans la caisse, donc tous les espoirs sont permis !