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25/05/2021

Dirk Raspe # 4

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(…) dans la ville, tous les musées m’étaient ouverts ; j’y passais mes heures de congé. Je découvrais avec stupeur la peinture hollandaise. Je n’avais vécu que jusqu’à six ans à La Haye avec ma grand-mère. Certes, cela était resté dans mes yeux. Maintenant, j’étais mis en face du rêve des hollandais, ce qui était plus que leur vie : la lumière, la naissance et la mort de la lumière, la lumière dans ses prisons et faisant de ses prisons des palais, la lumière entre le ciel et la terre, brillant dans l’entrebâillure des nuages et dans une tache soudaine sur une maison, combattue par l’immense conspiration des ciels couverts, des brouillards, des bruines, par les opacités et les louches interceptions ou filtrations, s’éprouvant, s’assouplissant, s’aiguisant dans ces difficultés et en faisant les éléments de son triomphe inattendu, étrange, tour à tour dissimulé et éclatant, unique, irremplaçable, la lumière du Nord.
C’était à peu près la même dont je suivais le destin misérable et émouvant dans la ville. La lumière d’ici n’était pas la lumière de là-bas ; il y a de subtiles mais rigoureuses différences, je n’avais pas les moyens de m’en rendre maître.
Je ne regardais pas beaucoup les italiens ni les français. (…) J’allais à ce qui était mon besoin. (…) Je ne vis pendant longtemps chez les français que ce qui était comme le complément infirme, nostalgique des hollandais. Dans leurs aises, dans leur originalité, dans leur exquise intégrité, ils me paraissaient infirmes, privés de quelque chose.
J’étais faible, un enfant tâtonnant, mais un enfant qui jouissait avec une profondeur sourde d’animal de ce qui pouvait être sa nourriture. 
 
"Mémoires de Dirk Raspe" de Pierre Drieu la Rochelle
 

19/05/2021

Dirk Raspe # 3

Robert et Cyril restèrent face à face. Ils évitaient cela depuis longtemps. Ils s’aimaient tendrement, tous les Heywood s’aimaient tendrement ; mais ils avaient pris des chemins si différents. Pour se retrouver, il aurait fallu rebrousser ces chemins ; sinon, on ne pouvait que se héler d’un chemin à l’autre, se crier de loin des mots incompréhensibles ou blessants. Leur tendresse maintenant consistait à feindre de s’oublier l’un l’autre. 

"Mémoires de Dirk Raspe"

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13/05/2021

Dirk Raspe # 2

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La vue de ces dessins provoqua un malaise. Louise aimait la poésie, les arts ; mais elle était de ces bonnes gens qui ne peuvent admettre un ouvrage que déjà assimilé par d’autres. Il faut que les autres le leur donnent, l’ayant déjà accepté. Pour eux, un artiste, c’est quelqu’un de déjà fait, qui leur vient d’un monde inconnu et révéré, ce ne peut être quelqu’un d’entre eux, quelqu’un qui naît. Ces dessins étaient très faibles, remplis d’une timidité pitoyable. Ils dirent que c’était faible. C’est cela qui aurait dû leur plaire, les rassurer. Après tout, il y avait peut-être dans ces dessins une pointe de vie, quelque chose d’insolite, d’inquiétant. Par exemple, cette prédilection pour les pauvres, cette obsession des pauvres. Etaient-ce les pauvres de Robert ? Celui-ci ne les reconnaissait pas. Il ne pouvait pas plus reconnaître la pauvreté surgissant dans l’art, que Louise ne pouvait reconnaître la vie surgissant dans l’art.
Ils avaient le droit, le devoir de les condamner. Il y a quelque chose de fort, de nécessaire, de sacré, dans cette méfiance des hommes devant l’apparition de l’art. Cette apparition n’est bien souvent qu’une vaine allusion, une prétention infirme. Et l’art, c’est une menace autant qu’un danger pour la vie. Ils étaient la vie. Devant ce danger, eux qui s’étaient tant démis de la vie, redevenaient la vie.

 

29/04/2021

Dirk Raspe # 1

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(…) ce ne fut pas Louise qui entra, mais Robert, le fils aîné. Il était en vacances pour quelques jours à la cure.
« Eh bien, papa, avez-vous fini ?
- Pas du tout, mon fils. »
Il disait cela d’un ton jovial, satisfait ; il était incroyablement au-delà de tout respect humain. 
 
Extrait du dernier roman (inachevé) de Pierre Drieu la Rochelle
 

01/05/2020

Parce que c'était lui...

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Qui est Romain Colomb ? Un lyonnais fonctionnaire des Impôts qui, sans jamais se prétendre historien, nous a laissé de précieux écrits consacrés à son cousin : Henri Beyle dit « Stendhal ».

« Un jour, quelque écrivain de talent s’occupera de Beyle ; j’aurais mis les matériaux sous ses yeux (…). Mon ambition se bornera à avoir été pour lui un chroniqueur sincère. »

L’homme nous narre l’enfance de celui dont il a été « le premier ami », à commencer par leurs attentats de jeunesse (tirer au pistolet sur un « arbre de la Fraternité »). Devenu l’exécuteur testamentaire de Stendhal, Colomb fera graver sur son monument funéraire la mention « Milanais », l’écrivain ayant « abdiqué sa qualité de français » dès 1840 pour quelques obscures raisons politiques.

Toute une vie… Que Beyle batte la campagne (d’Italie, de Russie) ou le pavé parisien, son cousin est toujours là pour nous le montrer en train d’accumuler le matériau indispensable à sa future œuvre… mais pas seulement. Le Stendhal qu’il nous dépeint aime aussi à « défigurer son nom, en y ajoutant quelque lettre », à « s’attribuer  un titre ou une profession supposés », à passer pour une « fashion victim » à juste titre ou pour un « hypocrite méchant » sans jamais l’être réellement. Oui, Stendhal voit s’évanouir sa fortune en même temps que celle de Napoléon, et il prend « gaiement la chose », oui, il survit en signant des articles littéraires pour des magazines anglais, oui, il rédige une statistique du Sacré Collège afin d’aider Charles X à faire élire un pape français, oui, il ne voit absolument pas venir certains bouleversements politiques majeurs, oui, il lui arrive de « hurler avec les loups » aux dires même de son cousin, et cela ne l’empêche pas de se juger sévèrement dans le même temps (on songe à Drieu), « au fond, cher lecteur, je ne sais pas ce que je suis ; bon, méchant, spirituel, sot. Ce que je sais parfaitement, ce sont les choses qui me font peine ou plaisir, que je désire ou que je hais. », oui, Stendhal reçoit plus de ses amis qu’il ne leur donne, bien qu’il rende « le bâillement impossible dans le salon où il se trouve », oui, il enchaîne les séjours italiens et s’aperçoit… qu’il va avoir cinquante ans, oui, il rêve de recevoir la croix de la légion d’honneur en qualité « d’administrateur » et s’avoue blessé de la décrocher comme écrivain…

Oui, Romain Colomb aime son cousin, et il est conscient de sa valeur, mais jamais il ne sombre dans l’hagiographie. Oui, d’une certaine façon, Colomb n’a pas démérité de Stendhal.

F.Houdaer

 

« Notice sur la vie et les ouvrages de Henri Beyle dit Stendhal rédigée en 1854 par son cousin Romain Colomb »

(introd. de Gérard Guégan)

Éditions À Rebours

170p., 17 euros

ISBN : 2 915114 03 X

 

28/11/2018

Biscuits # 3

Vous pouvez questionner (ou éclairer) ces quelques pistes en commentaire !

 

26/10/2018

Lectures & relectures du moment (fin octobre 2018)

Cette semaine : du neuf, de l'occase + des bouquins & dvd glanés à la bibliothèque municipale, etc. D'une anthologie de poésie amérindienne contemporaine établie et traduite par Béatrice Machet à un essai inédit et récent sur Drieu... au mode d'emploi de ma bagnole récemment achetée.

L'ouvrage le plus important de cette tablée n'est pas décrit dans cette liste.

 

20/01/2017

"FOND DE CANTINE" de Drieu La Rochelle (#3)

VENGEANCE

 

J’ai bu quatre bouteilles avec mes compagnons.

Qui d’entre nous fut plus bouffon

Que moi qui feignais la douceur ?

Trinquant d’un geste bénisseur

Je les encourageais à souiller de dédains

Les héros et les saints

Et l’orgueil de mourir

Grave frivolité

Pour une idée.

Eux donc me méprisaient non sans cordialité

D’être homme intelligent, de payer ce délice

Et de feindre des amours vaines

Pour quelques sacrées rengaines.

 

Je riais narquoisement

Et tout bénignement

Faisant ma prière

Au dieu de la guerre

Et des révolutions

Vouais à la juste gueule de ses puissants canons

Ces bons compères

Mes compagnons.

 

Pierre Drieu La Rochelle, « Fond de cantine » (1920)

 

07/01/2017

"FOND DE CANTINE" de Drieu La Rochelle (#2)

Dans le palais rouge, la dactylo papote tandis que les chefs tout neufs s’exhortent à commander : Chut ! le peuple vient de se retirer de la maison des jeunes mariés.

Devant le palais rouge, la mitrailleuse n’a pas l’air militaire. Un gros tube clos. Derrière le bec de gaz, par un petit trou, il en perce un regard oblique. On entend un tic-tac, le pas d’un ataxique. Cela débite à l’aveuglette des balles qui cinglent le pavé, pelletée de sable municipale.

Des soldats sur leur derrière font la guerre à leur façon.

Le taillis des machines dans l’atelier désert s’empêtre de courroies et de lianes. La matière se vautre dans son inertie au fond de la mine.

La dactylo tapote le verbe sur les feuilles touffues. Comme un démiurge trie les atomes, elle élit les touches. Le futur, infini, jusqu’à la dernière minute, se rétrécit soudain à la fatalité de l’alphabet.

La danseuse impériale se révolte contre le peuple parce qu’on ne trouve plus certains onguents pour ses pieds qui seuls peuvent débrouiller les figures de la beauté.

Cachant sous sa langue l’ordre de mobilisation révolutionnaire, l’envoyé débarque sur un continent placide et téléphone au camarade effaré.

Des armées victorieuses, ayant épuisé toute fureur, se complaisent, au bord d’un fleuve, en des musiques démodées.

Dans la terre slave aux chimies dissolutrices de l’esprit, la barbe de Tolstoï fleurira-t-elle perce-neige ?

 

Pierre Drieu La Rochelle, « Fond de cantine » (1920)