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12/12/2012
NIETZSCHE, À CHARGE OU À DÉCHARGE ?
Il est étonnant qu’un auteur lu quotidiennement pendant une quinzaine d’années (ne serait-ce que cinq minutes par jour, selon l’ordonnance du bon docteur Haldas) n’apparaisse pas plus sur mon blog (sinon ici ou là).
Et voici que dans un ouvrage assez remarquable, je trouve ce document à copier-coller de toute urgence :
EXTRAIT DU JOURNAL DU MALADE tenu par les Médecins de la Maison de santé pour les aliénés du Grand-Duché de Saxe-Weimar, à Iéna
18 janvier 1889 – HEREDITE : père, mort, ramollissement du cerveau. Parmi les frères et sœurs du père, plusieurs rachitiques, tous très doués. La mère vit, peu intelligente.
ONT EU TROIS ENFANTS : 1. Friedrich ; 2. Elisabeth, mariée avec Bernhard Förster, bonne santé ; 3. Joseph, mort à deux ans, attaque d’apoplexie.
BIOGRAPHIE : a toujours été un peu bizarre. Très doué.
1866 : syphilis par contagion.
1869 : obtient la chaire de philologie classique à l’Université de Bâle.
HISTORIQUE DE LA MALADIE : 1878, a abandonné le professorat à cause de sa nervosité et de maux d’yeux.
19 janvier – Le malade se dirige vers sa section en faisant beaucoup de salutations. D’un pas majestueux, et le regard tourné vers le plafond, il entre dans sa chambre et remercie pour cet accueil magnifique. Il ignore où il se trouve. Tantôt il croit être à Naumburg, tantôt à Turin. Il gesticule et parle continuellement d’une voix affectée et faisant usage de mots grandiloquents, parfois en italien, parfois en français. De temps à autre il parle de ses grandes compositions musicales et il en chante des fragments. Il parle de ses secrétaires d’ambassade et de ses laquais. Dans la nuit, également, son bavardage incohérent continue presque sans interruption. Le malade a un gros appétit.
21 janvier – Malgré une dose de 2,0 de chloral, n’a cessé de faire du bruit, a dû finalement être isolé. A mentionné occasionnellement que son père avait été atteint lui aussi d’un ramollissement du cerveau.
22 janvier – Désirerait que ses compositions musicales fussent jouées. Se plaint de douleurs à la tête du côté droit et dans le front.
24 janvier – Très bruyant. Parfois, l’isolement devient nécessaire.
10 février – Fréquents accès de colère, accompagnés de cris inarticulés, sans motif extérieur.
23 février – En dernier lieu, j’étais Frédéric-Guillaume IV.
28 février – Demande en souriant au médecin : Donnez-moi un peu de santé.
1er mars – Ne comprend guère et se souvient peu des pensées et des passages de ses œuvres.
10 mars – Faim de loup. Nomme les médecins sans jamais se tromper, se désigne lui-même soit comme duc de Cumberland, soit comme empereur, etc.
23 mars – La parésie de la commissure droite s’accentue petit à petit.
24 mars – Le malade n’a de poils blancs dans la moustache que du côté droit.
26 mars – Se promène beaucoup en chantant et marche d’un pas lourd et martelé.
27 mars – C’est ma femme, Cosima Wagner, qui m’a conduit ici.
28 mars – Se plaint souvent d’une violente névralgie sus-orbitaire à droite.
1er avril – Je demande une robe de chambre pour une rédemption complète.
17 avril – Cette nuit, on m’a couvert d’injures, on a employé les plus terribles machines contre moi.
19 avril – Ecrit des choses illisibles sur les murs : Je veux un révolver, s’il est prouvé que la grande-duchesse commette ces cochonneries et ces attentats contre moi.
On me rend malade dans le côté droit du front.
5 mai – Remet au médecin un billet sale et illisible qu’il dit être son testament.
10 juin – A volontairement brisé une vitre.
14 juin – Prend le gardien-chef pour Bismarck.
16 juin – Réclame souvent du secours contre des tortures nocturnes.
17 juin – Se tient souvent le nez pendant des heures. Se plaît aux jeux de mots.
4 juillet – Brise un verre afin de défendre l’entrée de sa chambre avec les débris de verre.
9 juillet – Saute comme une chèvre, fait des grimaces et remonte l’épaule gauche.
23 juillet – Je suis stupide de la hanche.
16 août – Brise tout à coup quelques vitres. Prétend avoir vu derrière la fenêtre le canon d’un fusil.
27 août – Après avoir perdu son carnet de notes, il a dit : Ce carnet s’est mis en pension de sa propre autorité.
7 septembre – Se couche presque toujours par terre à côté de son lit.
9 septembre – Prétend aujourd’hui être à Turin. D’habitude ignore où il est.
10 novembre – Incessante et violente hémicrânie du côté droit.
21 novembre – J’ai mal à la tête à ne pouvoir ni marcher ni voir.
2 décembre – Prétend avoir vu cette nuit des petites femmes tout à fait folles.
16:48 Publié dans carottages littéraires | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : nietzsche, pajack, turin, pavese, folie
Commentaires
Merci !
Écrit par : Leïla Lovato | 09/08/2011
Quel poète, en plus!
Écrit par : melchior Liboà | 10/08/2011
Bravo, Fred.
Ma référée, c'est "prend le gardien-chef pour Bismarck".
Tu as le chic pour dénicher des trucs d'enfer.
Écrit par : Marignac | 04/10/2011
J'ai de vilaines lectures, et tu n'y es pas pour rien, Thierry !
Écrit par : Frédérick Houdaer | 05/10/2011
Extra ! c'est quoi le bouquin ? le lien marche pas
Écrit par : thoams | 18/12/2012
ici, Thomas :
http://www.babelio.com/livres/Pajak-Limmense-solitude--Avec-Friedrich-Nietzsche-et-C/304588
Écrit par : Houdaer | 20/12/2012
merci pour cette trouvaille
je donnerai mes livres pour un cheval
la folie respire la poésie ou est-ce l'inverse ?
Écrit par : corinne | 24/02/2013
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