26/03/2015
"Les noirs et les rouges"
" Udine était divisée en zones. Il y avait les zones rouges et les zones noires. Le bar d’Artemio, dans la Via Mercato Vecchio, était en zone noire. Très noire. Ils avaient pissé tout autour comme font les chiens. Si quelqu’un voulait les voir, il n’avait qu’à y passer. Mais rares étaient ceux qui prenaient ce risque. Chacun fait la loi sur son propre territoire. Et si quelqu’un d’autre s’y aventure, il doit en observer les règles. Quelles sont ces règles ? Avant tout, respect. Tu dois respecter celui qui commande. Lui lustrer les chaussures à coups de langue. Puis invisibilité. Garder les yeux au sol et marcher en rasant les murs. Résignation. Aucune pitié pour quiconque s’imagine pouvoir rester un homme. Enfin, anarchie. Ce n’est pas parce que tu respectes les règles qu’on n’ira pas te mettre une raclée. Parce que t’as une sale tête. Parce que tu ressembles à un cousin de ma tante qui me tape sur le système. Parce qu’il faut bien passer ses nerfs sur quelqu’un. S’ils venaient à les importuner jusque dans leur tanière, il faut croire que les rouges étaient devenus courageux.
Stephano jeta un œil dehors. Les rouges n’avaient pas de battes de base-ball, de drapeaux ni d’étendards. Moreno renversa une table pour en faire une barricade. Ils saisirent les couteaux à leur ceinture. Ils ordonnèrent à Artemio de s’accroupir derrière son comptoir.
« Quels que soient les dégâts, on te remboursera jusqu’à la dernière lire. »
Accompagné par deux de ses amis, Pattini entra. « Je viens en paix ! cria-t-il. Nous sommes trois. Vous êtes trois, nous aussi.
- Bien sûr que vous venez en paix : à la moindre blague, on vous charcute.
Pattini pâlit : il allait repartir, mais c’était la direction des Chinois qui l’envoyait, il ne pouvait pas se retirer si vite. Grands et gros, les jeunes gens qui l’encadraient le protégeaient et le surveillaient. Un mélange de gardes du corps et de délateurs.
Stefano leur fit les honneurs de la maison : « Qu’on n’aille pas dire que nous ne savons pas recevoir. »
Il prit une bouteille de vin rouge et remplit six verres. "
"Les rouges et les noirs" de Alberto Garlini, éd.Gallimard (trad. Vincent Raynaud)
Gilles Martin-Chauffier en dit tout ce qu'il y a à en dire. Et même Télérama essaye d'en parler.