07/12/2023
"Né pour l'automne..."
Né pour l’automne, Dieulefils offrait un visage tombant où l’accent circonflexe dominait avec une rare mélancolie. Il n’avait accueilli qu’avec un orgueil morose la commande, passée par les Beaux-Arts, d’un buste du président de la République. Que cet éminent magistrat eût différé son départ en vacances pour s’offrir à son ciseau matinal le contrariait plutôt dans ses habitudes. A l’heure où le premier citoyen de France, docilement réveillé, se débattait avec le bouton de col d’un habit de soirée incongru, s’engouffrait dans le grand cordon de la Légion d’honneur, jouait des maxillaires dans le vide en l’attendant au milieu du petit salon bleu, Dieulefils émergeait à peine d’un coma pâteux, passait une main accablée sur ses joues hirsutes, balançant encore s’il ne se recoucherait pas. A ce stade, les copains prenaient l’affaire en main – et il avait si bien compris la nécessité de cette tutelle qu’il s’était à son tour installé à l’hôtel pour ne pas risquer de lui échapper avant l’accomplissement de sa besogne officielle. Il fallait lui décaper le moral et la couenne, doser le dernier Calvados dans le premier café noir, le déposer enfin devant le palais du faubourg Saint-Honoré, hors de la zone d’influence des bistrots. Là, les pompons et les buffleteries des gardes municipaux, le crâne des huissiers au licol, l’écho de son pas dans des galeries miroitantes, lui rendaient par bouffées la dignité désinvolte de l’artiste.
- Eh bien ! Monsieur Dieulefils…
- Aujourd’hui, monsieur le Président, nous allons fignoler certains petits détails de méplats.
Antoine Blondin, Monsieur Jadis
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