28/02/2019
Simone de Montmartre
Comme j’étais mal disposé,
un matin de pluie,
pour toutes les excentricités humaines
un ami me montra une photographie :
celle d’une femme nue et morte étendue sur un lit d’hôtel
à côté d’un homme vêtu et mort qui,
vu en raccourci,
ressemblait à un phoque rigide.
Simone n’avait pas changé sa coiffure ;
sa cloche reposait sur la cheminée
à côté d’une pendule dorée sans aiguilles.
Simone était incontestablement morte à côté de son ami.
Ils s’étaient suicidés aux sons du phonographe de la maison voisine :
— Some suny day… Swanie… Eleanor !… —
Et sur le ventre nu de la femme,
avant de mourir,
dans une suprême évocation du Mois de Marie,
l’homme avait écrit,
un doigt trempé dans l’encre,
ces mots : Priez pour nous !
Cette photographie venait d’un obscur bureau de police.
De mains en mains,
elle échouait dans les miennes.
Et l’image ridicule et démoralisante
je l’ai gardée dans ma mémoire
jusqu’au jour où j’ai résolu d’écrire cette histoire,
de la faire imprimer
et de la relire plus tard avec des yeux qui ne seront plus les miens
mais des yeux de promeneur imperméable
assis au crépuscule du soir s
ur le banc du corps de garde à la porte du Paradis.
Pierre Mac Orlan
« Simone de Montmartre suivi de l’Inflation sentimentale », 1924
06:51 Publié dans carottages littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : simone de montmartre, pierre mac orlan, mac orlan
Les commentaires sont fermés.