08/06/2022
UN MARCHÉ (DE LA POÉSIE) À PARIS
œil-qui-pleure
s’assoit dans le siège 108
de la voiture 15
du TGV qui le conduit Place Saint-Sulpice
quand œil-qui-pleure arrive à Paris
c’est pour s’enterrer tout de suite
prendre le métro à même la gare
grimper dans la première rame
et là bingo
il s’assoit
re
dans un bain de langues
à côté d’une fameuse auteure à scandale
qui lit religieusement le Libé du jour
œil-qui-pleure la dévisage
sans envie
et partage avec elle
les mêmes hoquets ennuyeux
jusqu’à ce que la rame
se remplisse brutalement
d’une classe entière de lycéens
complètement bourrés
une lolita demande à œil-qui-pleure
si elle peut caresser son crâne parfaitement chauve
œil-qui-pleure refuse
elle le fait quand même
tandis qu’un jeune sosie de Joe Dassin se met à hurler
aux Champs Élyséééées
œil-qui-pleure se dit que ce n’est pas à Lyon
que l’on verrait un puceau beugler du Joe Dassin
dans le métro
pieds-qui-brûlent
se déchausse
lors de sa visite au Musée des Arts Premiers
maison des hommes
bâton de danse
ancestor figure
pieds-qui-brûlent finit par revenir
Place Saint-Sulpice
pour apprendre de la bouche d’une femme
engraved stone
skull-mask
que l’un de ses amis
n’est qu’un satyre
pieds-qui-brûlent est sommé de répondre
à la question
est-ce que ce connard PEUT ÊTRE un bon poète ?
pieds-qui-brûlent répond prudemment
ce ne serait pas le premier
et reprend un café à trois euros
il souhaite que la femme
achète l’un de ses recueils
male figure
poteaux funéraires
Sèvres-Babylone
dos-qui-fait-mal arpente les allées
serpente au milieu des stands
renvoie aux éditeurs leur absence de sourire
beaucoup de belles femmes ici
heureusement qu’il y a beaucoup de belles femmes ici
se dit dos-qui-fait-mal
la poésie n’attire pas que des enseignantes ménopausées
elle attire aussi des enseignantes non ménopausées
voilà ce que pense
dos-qui-fait-mal
en devenant vessie-qui-presse
en visitant l’algeco-pissotière
du Marché de la Poésie
vessie-qui-presse se soulage
au dessus de chiottes qui ont déjà vu passer
les queues de centaines de poètes
vessie-qui-presse en établit mentalement
une première liste
vessie-soulagée
tourne le dos aux stands pour quelques minutes
le temps de rentrer dans l’église Saint-Sulpice
d’y mater une scène de catch
entre Jacob et un ange
peinte par Delacroix
vessie-soulagée ne s’attarde pas
sous ses dents
une miette de biscuit
lui rappelle que le seul vrai dieu
qu’il ait l’habitude de prier
se nomme Speculoos
vessie-soulagée retourne aux stands
l'y attend
une nouvelle catégorie de ses lecteurs
il y avait ceux qui aiment ce qu’il écrit
ceux qui n’aiment pas ses poèmes
depuis peu
vessie-soulagée sait qu’il existe une catégorie de gens
qui éprouvent un plaisir coupable
à dévorer ses livres
c’est l’expression qu’ils emploient le plus souvent
plaisir coupable
et vessie-soulagée ne sait comment la recevoir
il espère progresser
aujourd’hui
F.H.
12:05 Publié dans a.2) MES TEXTES | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marché de la poésie, paris, place saint-sulpice
Commentaires
bouche-qui-sourit adore ce poème, il fallait que ce soit dit !
Écrit par : Marlene T | 17/06/2013
Et il faut combien d'algeco-poètes pour faire un mètre iambique ?
(Me rappelle l'époque où j'avais pour noble fonction de prélever l'ADN de Kurt Cobain et Björk dans les chiottes de scène de la plus mythique salle de concert rennaise.)
Écrit par : Stéphane Bernard | 08/06/2022
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