28/03/2020
"L'ÎLE ATLANTIQUE" de Tony Duvert
Sans le moindre doute, le meilleur roman que j'ai lu depuis le début de l'année. Son auteur ? Tony Duvert (le très sulfureux). C'est paru en 79 chez Minuit. Mordillat en a tiré un téléfilm (pas vu). Ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est son écriture.
« Alain Viaux s’y intéresse aux touristes. Il n’irait pas les voir là où ils logent (quartiers pauvres d’époque, quartiers riches actuels) ; et il sait que les riches ne mettent pas les pieds dans les endroits sans visage où on habite. Mais il existe quelques régions intermédiaires, assez indigènes pour que Viaud y aille comme chez lui, assez singulières pour que les étrangers les visitent. La plage des Pins. Le Festival des Poteries, Coquilles peintes & Parasols. La rue piétonnière, avec ses chaînes où on se balance et ses commerces trop chers pour acheter, trop surveillés pour voler ; s’y promènent des gens beaux deux par deux, qui ne s’occupent que de se montrer avec la main, les yeux, combien ils se trouvent beaux l’un l’autre, et combien ils sont au-delà de ces sottises : les produits. A se demander pourquoi ils viennent tous ensemble, et aux mêmes heures, manifester – sourire voilé sur œil vitreux, œil alangui sur sourire mou – dans l’unique rue marchande de la ville, qu’ils sont au-delà de ça et n’ont de passion que pour l’amour d’eux-mêmes.
Lui, Viaux, il comprend très bien. C’est si luxueux d’être indifférent au luxe : mais où le montrer, sinon sur ces deux cents mètres de commerces ruineux ?
(…) C’est cela qu’il vient voir, Viaud, justement. Les mannequins, les pantins. C’est brillant et ça bouge comme à Noël. C’est une chance d’être une île touristique : on a ça toute l’année. C’est des têtes qui frappent. »
« Il n’y avait, à vrai dire, aucun mort. Cependant, Camille Gassé avait reçu une balle dans la poitrine. Il s’était évanoui. Personne ne savait quoi en faire.
Son frère Benoît retrouva instantanément le ton grand-bourgeois, et il s’indigna dignement contre Guillard comme il se serait plaint au directeur d’une agence de voyages dont le programme a mal tourné. Pour un peu, il l’aurait menacé d’un avocat, de poursuites, ou l’aurait traité de fils d’ouvrier. Il sentit, à temps, l’hostilité qu’inspirait son genre d’en haut ; on était plus de dix dans la grotte ; même François Boitard ne se ralliait pas à ces protestations prétentieuses ; Benoît eut donc une crise de larmes intéressantes, comme si quelqu’un de son milieu, par-dessus le toit, avait pu voir, apprécier, évaluer sa prestation sociale. On dévêtit Camille. Benoît bouda. Il y avait vraiment une blessure, avec un vrai trou rond, qu’on regarda. On écouta le cœur. Ça marchait. Mais comment arrêter ce sang, et où trouver, sans conséquences, un médecin ? Guillard appuya sur la plaie avec un chiffon. Dommage, pensait-il, que la balle n’ait pas atteint l’autre Gassé. »
11:56 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'île atlantique, tony duvert, duvert, éditions de minuit, antpine brea, realpoetik