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07/05/2014

Guillevic & Drieu

 

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Je recopie un nouvel extrait de (l’indispensable) « Vivre en poésie » en réponse à ceux qui me reprochent, dans ma zone « SHERPAS », d’avoir fait se côtoyer Guillevic (le poète français qui a le plus compté pour moi, d’où mon incompréhension qu’il n’est pas été célébré à la hauteur d’un Char ces dernières années) et Drieu la Rochelle.

 

« Il arrive qu’on me demande comment je suis arrivé à me faire publier alors que j’étais un inconnu. Jusqu’à la guerre, je n’ai jamais envisagé de présenter un recueil. A cela trois raisons : l’opinion que j’avais sur ce que j’écrivais (cela ne pouvait intéresser aucun éditeur) ; la décision que j’avais prise de ne jamais publier à mes frais ; la certitude de ne pas être encore en possession d’un vrai livre (j’écartais la publication d’une plaquette). Donc, je travaillais et j’attendais.

C’est alors que les hasards de la drôle de guerre ont voulu que je rencontre, en décembre 39, au magasin d’habillement de la 7ème section de COA, à Besançon, un écrivain que je connaissais pour avoir vu sa photo (dans Les Nouvelles Littéraires, notamment), que j’avais lu et que j’admirais : Marcel Arland. (…) »

 

Suit le récit de cette rencontre qui nous mène jusqu’en 40.

 

« Donc, après l’armistice, je retrouve Marcel Arland à Paris. Il me demande de lui remettre un manuscrit pour Gallimard, où il avait repris ses activités. J’ai confectionné le manuscrit de Terraqué (…). Marcel Arland présente ce manuscrit chez Gallimard. Cette fois encore, Paulhan n’est pas chaud, mais Arland bataille toujours… Paulhan passe alors tous les textes inédits qu’il avait à Drieu La Rochelle, son successeur, depuis la défaite, à la direction de la NRF, et je reçois  une lettre très enthousiaste de Drieu : « J’aime beaucoup votre poésie. Je la publie dans la revue. Si vous l’acceptez, je vous offre mon amitié… »

J’ai hésité. Je savais qui était Drieu. Je l’avais lu avant la guerre. Je savais qu’il avait été doriotiste et qu’il était l’ami des Allemands. Tout ça, je le savais et je voyais ce qu’il écrivait. Mais André Gide, Paul Eluard avaient collaboré à sa NRF. J’avoue que cela me tentait de publier, moi aussi, comme j’avais toujours rêvé de l’être, dans cette revue.

A l’époque, je croyais que la poésie se situait au-dessus ou à l’écart des contingences, des circonstances, ou, mieux, que sa force révolutionnaire agissait par elle-même contre le mal, où que paraissent les textes. Dans certains des poèmes publiés par la NRF, cette force, à mon avis, s’affirmait nettement :

 

Mais c’est bon pour les rocs

D’être seuls et fermés

Sur leur travail de nuit.

 

Et peut-être qu’ils savent

Vaincre tout seuls leur fièvre

Et résister tout seuls.

 

Mon ami Adler, communiste et résistant de la première heure – celui-là même à qui j’ai donné mon adhésion au Parti peu de temps après -, me conseilla de répondre positivement à la demande de Drieu. Je l’écoutai et j’allais voir Drieu, qui me reçut très bien.

Je peux dire qu’avec Drieu, j’ai été aussi attaché qu’on peut l’être avec un ennemi. Nous avons eu tous les deux, l’un pour l’autre, une grande affection.

Dès le premier jour, il a su qui j’étais. Il connaissait mes sentiments. Tout de suite, il m’a dit : « Vous êtes communiste ». Je lui ai répondu : « Je ne suis pas membre du Parti, mais c’est tout comme. »  Il m’a exprimé plus tard – très tard, en juin 44 – son désir de passer à la Résistance. J’ai transmis sa demande. On m’a ri au nez…

J’ai vu Drieu chez lui. Nous sommes sortis ensemble. Nous avons vu jouer Electre. En général, nous ne discutions pas de politique. Quand je lui reprochais les crimes nazis, il me répondait que les Soviétiques en faisaient autant. Lui se disait partisan du socialisme, mais il préférait aller au socialisme par le fascisme que par le bolchevisme parce que, selon lui, le fascisme était moins dur.

Il est certain que Drieu La Rochelle ne connaissait pas non plus toutes les horreurs des camps nazis et du nazisme, et c’est probablement quand il les a apprise qu’il s’est suicidé en 45.

Son suicide m’a fait beaucoup de peine. J’ai beaucoup aimé Drieu. Naturellement, nous étions des ennemis, il le savait. Je le lui ai écrit un jour, je ne sais plus à quel propos, en citant une légende irlandaise très connue. Il s’agit de deux frères qui se battent à mort. Deux frères qui se battent dans un ruisseau. Ils sont frères. Ils se battent. Ils s’arrêtent. Ils s’embrassent. Ils pleurent. Il faut que l’un tue l’autre. Je lui ai dit : voilà notre histoire.

Pas équivoques nos rapports, jamais.

Je lui disais : « Comment avez-vous pu écrire ça ? ». Parce que ce qui me gênait, c’est qu’il était beaucoup plus affirmatif dans ce qu’il écrivait que dans ce qu’il disait.

C’est ainsi que sur l’initiative de Marcel Arland, avec le soutien de Drieu La Rochelle, l’accord de Paulhan et sur la décision de Gaston Gallimard, Terraqué a été publié, en avril 42, sur du très mauvais papier, tiré à je ne sais combien, deux mille et quelques exemplaires sans doute. Un tirage assez vite épuisé. A l’époque, les gens lisaient des poèmes. Il n’y avait pas beaucoup de livres. Et puis, en période d’horreur, on lit plus volontiers la poésie… »

Extrait de « VIVRE EN POESIE ou l’épopée du réel » de Guillevic (éditions Le Temps des Cerises)

 

Donc, amis anti-fas, avant de me balancer des leçons de morale à la figure, prenez le temps de lire (une piste).

M’est également avis que dans les temps qui viennent, on va se remettre à lire plus volontiers de la poésie.

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