ÈRE DE JEUX
  
   
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 gratter la terre là où elle n’existe plus
  
 mais ça ne fait rien
  
 on finit toujours par dénicher quelque chose
  
 alors on gratte
  
 avec le seau plus qu’avec le râteau
  
 on ne tient pas à avoir le sens pratique trop développé
  
 trop tôt
  
 les outils sont recouverts de motifs rigolos
  
 cela n’empêche personne
  
 de s’appliquer à la tâche
  
 on gratte fouille creuse
  
 et on trouve
  
 on trouve à ramasser des cailloux
  
 jusque dans les endroits les plus incongrus
  
 sous les semelles des parents
  
 ou dans la serrure du portillon par exemple
  
 on ne porte pas les cailloux à la bouche
  
 surtout pas
  
 on a passé l’âge de faire des frayeurs faciles aux grandes personnes
  
 on voit plus loin
  
 on échafaude
  
 on “ tire des plans sur la comète ”
  
 on ne sait pas très bien ce que signifie cette expression
  
 on l’a entendue la veille
  
 on l’a trouvée chouette
  
 on l’a prise
  
   
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 on garde les cailloux prisonniers dans son poing gauche
  
 pourquoi le gauche ?
  
 parce que c’est le poing le plus méchant
  
 on le sait
  
 on n’a pas eu besoin d’une grande personne
  
 pour l’apprendre
  
 on escalade le petit muret d’une seule main
  
 on se cramponne au grillage branlant
  
 là encore d’une seule main
  
 on jette les cailloux de l’autre côté
  
 où ?
  
 de l’autre côté
  
   
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 on grimpe sur l’avion-balançoire
  
 monté très haut sur ressort
  
 en l’attaquant par le flanc droit
  
 parce que c’est plus facile de l’escalader de ce côté là
  
 une fois qu’on est installé à ses commandes
  
 on se jette dans les orages
  
 dans des cyclones qui ne portent pas de nom
  
 c’est à ce genre de détail
  
 qu’on reconnaît les cyclones les plus violents
  
 on pourrait apprendre ces choses aux grandes personnes
  
 mais on n’en a pas l’envie
  
   
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 la convoitise nous fait redescendre sur terre
  
 on veut le ballon de l’autre
  
 on ne peut pas le chiper au vu et au su de tous
  
 avant on pouvait
  
 plus maintenant
  
 on veut se faire bien voir
  
 corriger son image
  
 on ramasse un biberon tombé
  
 la tétine la première
  
 on reçoit des félicitations
  
 on en profite
  
 on vient de créer son association
  
 alors on demande des subventions
  
 quand on les obtient
  
 c’est bien
  
 quand on se les voit refusées
  
 ça ne va pas
  
 on commence à se faire des cheveux blancs
  
 puis plein d’autres maladies
  
   
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 on essaie d’autres manèges
  
 on s’en lasse en trois secondes deux dixième
  
 on change de femme
  
 on essaie de déménager un banc
  
 sous le regard amusé des grandes personnes
  
 elles ne croient pas en notre révolte
  
 elles ne misent pas un bonbec sur notre insurrection
  
 elles ont raison
  
 on ne fait pas bouger le banc d’un millimètre
  
 même en s’y mettant à plusieurs
  
 on court dans tous les sens
  
 il faut bien compenser notre frustration
  
 quel que soit notre âge
  
 on pousse la provocation
  
 on veut escalader le toboggan
  
 par le mauvais côté
  
 on menace de manger notre soupe
  
 avec une fourchette
  
 ce soir même
  
   
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 on entend sans les voir
  
 les joueurs de tennis qui s’affrontent sur le terrain voisin
  
 on s’amuse à reprendre leurs cris de victoire
  
 ou de rage
  
 et l’on commence à aimer
  
 prendre des insolations en haut du manège
  
 caresser des chiens inconnus
  
 peut-être féroces
  
 on oublie d’ouvrir le capot de sa voiture
  
 de vérifier ses niveaux
  
 on espère être seul
  
 le jour de l’accident
  
 on n’en est même pas certain
  
   
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 on veut sentir
  
 ressusciter en nous
  
 l’enfant aux doigts dans la prise
  
 l’enfant traversé
  
                    Frédérick Houdaer
 extrait de "ANGIOMES", éditions de la Passe du Vent