22/12/2023
"A peine..."
A peine fut-il dans la Salle d’Attente, Cyprien Dhourd poussa un cri perçant qui ressemblait à celui d’un bébé qui vient de naître.
Or Cyprien était justement un bébé qui venait de naître.
Il grandit sans jamais quitter la Salle d’Attente, devint par la suite professeur, c’est-à-dire Educateur-Pétrificateur, enseigna à ses élèves, dans un coin quelque peu enténébré nommé Institut des Hauts Concepts Engourdisseurs, des notions édulcorantes, sécurisantes, conformes à la norme, vernissées, pareilles à ces objets qu’on a longtemps fait séjourner sous une Fontaine Pétrifiante.
Tout le monde le tenait pour un excellent maître.
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01/09/2023
"Un endroit nommé la vie"
Des années avaient passé. J’avais séjourné dans des villes grandes et savantes où on m’avait enseigné des sciences et donné des aperçus prudents sur les philosophies.
En ces endroits fiers de leur savoir, on n’avait guère entendu parler de la Maison Etincelante. Le peu que je recueillis sur elle de la bouche des conférenciers, ou que je lus dans les profondes bibliothèques, la présentait comme un banal mythe folklorique, une création d’esprits arriérés et superstitieux.
(…)
Etait-ce l’effet de mes longues contemplations devant [la maison étincelante] ? Je me sentais comme dans mon enfance au contact des miens, d’une autre sorte. Je me refusais à donner à « je » et à « moi » le sens qu’ils ont couramment. Trop de houles m’avaient traversé, et sans cesse m’avaient fait et défait, et j’y avais prêté trop d’attention pour que je me crusse « distinct ». Je ne me sentais ni unique ni à tout jamais irremplaçable. J’avais éprouvé comme tout autre la peur, la colère, la joie et la peine. En revanche, la vanité, le sentiment d’une supériorité due à mon seul « moi », le mépris m’était aussi étrangers qu’ils doivent l’être à un caillou. Mes séjours dans les villes studieuses m’avaient enrichi de connaissances, préceptes, recettes et techniques sans me rendre différent. « Je » me semblait un leurre, une illusion – au demeurant très explicable.
Roger Blondel, Un endroit nommé la vie
06:36 Publié dans où je lis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger blondel, blondel, un endroit nommé la vie