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29/07/2024

"C’est pourquoi l’homme part en vacances..."

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C’est pourquoi l’homme part en vacances. Il est heureux et a beaucoup d’enfants. Il les assied sur la banquette de façon à coincer les paquets.
Le lendemain, les plages sont noires de monde. La mer se couvre de canards en plastique jaune que chevauchent des hommes intrépides. Parfois, ce sont des comptables modèles, parfois des penseurs importants. Les plus beaux ont l’air de monarques avec une grande barbe carrée. Ils donnent l’image qu’eût présenté l’histoire du monde si les rois s’étaient mis à cheval sur des canards. Leur corps se bronze, leur tête s’échauffe, les femmes les admirent dans les bars.
D’autres fois ils pendent au bout d’un fil, le long d’une falaise verticale, vertigineusement accrochés avec des clous et des ficelles. Puis ils s’élèvent lentement par tractions successives. Leurs abdominaux se fortifient.
D’autres fois, ils se jettent dans les entrailles du sol pour regarder des bisons dans des grottes. C’est ce qu’on appelle la spéléologie. Assis sur des rochers humides, à mille mètres de profondeur, ils contemplent longuement dans de sombres cavernes des profils de bison, de mouflon, d’instituteurs, et même des slogans politiques que les premiers hommes et les enfants de l’école voisine ont tracé sur les parois.

Alexandre Vialatte, Almanach des quatre saison
(Ill : Reginald Marsh)

 

22/01/2024

L'actualité ?

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L’actualité existe-t-elle ? Elle est du jour et elle meurt à peine née. Sa nature est d’être éphémère. Son caractère est de passer vite. Son essence est d’âtre inactuelle dans la minute même qui la suit.
Rien de plus arbitraire également : elle est composée de faits triés par les journaux. Sans eux elle n’existerait pas. Et les journaux ne peuvent rendre compte, pour cent raisons, que d’une partie infinitésimale de tout ce qui arrive : ils ont laissé passer (quel oubli !) la naissance de Napoléon.
L’actualité la plus répandue est celle dont ils parlent le moins : le solstice, la neige, la Saint-Sylvestre, les saisons, la première fleur, la dernière feuille.
Où est le journal qui parle de l’aube ? L’aube, suprême curiosité de l’homme.
Car, cela ils l’ont compris (la Bible aussi, relisez la Genèse, relisez l’histoire du pommier), l’homme vit surtout de curiosité. C’est le dernier vice qui lui reste. Toutes ses curiosités sont blasées, il garde celles de son décor.
Il a vu le jour. Il ne cesse de vouloir le revoir.
Au bout du compte l’homme de la grande actualité, ce n’est peut-être pas le journaliste, mais le poète. Son actualité ne se fane pas. 
 
Alexandre Vialatte, Chronique des longues actualités, in La Montagne du 11 décembre 1962
 

15/01/2024

Les dames de janvier

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Les dames qui seront nées ce mois-ci, bien que fragiles de la cheville, et même sensibles du mollet dans quelques cas, seront tentées par l'aventure prométhéenne. Elles ressembleront à Mozart, à Pergolèse et à Polichinelle, parfois au Douanier Rousseau, et brilleront dans l'expertise légale. Leur visage, aminci du bas, pourra s'inscrire dans un triangle. Elles aimeront les voyages, les étoffes à carreaux, les produits synthétiques et les poêles à trois trous. Les astrologues très renseignés ajoutent qu'elles recevront des lettres. Moins tentées que les hommes par le crime passionnel, elles fourniront un pourcentage accru d'escrocs. Malgré quoi, comme par le passé, cette carrière restera surtout l'apanage de pères de famille (68 % de l'effectif), notamment des quadragénaires, dont l'activité se poursuivra au-delà de la soixantaine. 

Alexandre Vialatte, La Montagne, 21 janvier 1961. 

 

10/01/2024

"Glacial..."

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Un vent glacial succède à la neige. Il fait moins dix. Les trains patinent, les enfants glissent, les vieillards trébuchent, les ménagères tombent au bord du trottoir. La sentinelle passe un journal entre sa chemise et sa poitrine.
Le Père Noël, par souci de dignité, attache au bout de sa barbe un petit plomb de couturière pour l’empêcher de voler au vent.
Telles sont les rigueurs de l’hiver.

Alexandre Vialatte (La Montagne, 17 décembre 1963)
Ill : Clarence Coles Phillips