Bonne nouvelle, les novellistes sont de retour. Ils se sont mis à deux pour nous offrir un recueil de dix-neuf nouvelles : "Dures comme le bois". Judith Wiart et Frédérick Houdaer nous offrent une sorte de florilège de leur art narratif et nous sortons de la lecture avec la tête pleine de possibles, de trajectoires, de carrefours. Se faire raconter des histoires, lire des gens qui s’en racontent est une source de jouissance certaine. Chaque nouvelle est comme un fragment de journal intime. On y traque l’ironie du sort, bien sûr, ce moment où les choses se retournent et également ce moment où pensant qu’elles vont se retourner, elles restent. Le pied de nez est notre lot. Les nouvelles sont à l’image de nos vies, elles n’en sont pas un condensé mais un extrait. Et, tout simplement, ce qui a été extrait de la vie ordinaire par ces orpailleurs du verbe, se trouve d’un coup des allures de roman.
Dans les têtes, il y a toujours l’amorce d’une narration issue d’une sorte de dialogue intérieur pas toujours très profond d’ailleurs. Une succession de possibles semblent surgir. Et ces amorces de narration se succèdent sans causalité évidente. L’ordinaire côtoie le loufoque et le sordide. Judith et Frédérick font apparaître le décalage entre la narration des autres et le monde qui se fout éperdument de toutes ces histoires, ce qui peut provoquer un mauvais aiguillage, une sortie de route… On pense à cet accident de voiture d’un couple qui causait de la tromperie de l’un et dont la sortie de route est due à une mauvaise estimation des vitesses : la voie est libre a-t-elle dit… Ils habitent tous le même monde : l’esclave de la famille présentée à l’amie de classe, le correspondant martyrisé qui martyrise les animaux, le mari qui offre des gros seins pour la Saint-Valentin à sa femme, cette nounou féministe qui enquiquine parents et enfants avec des théories, le père qui joue trop au héros pour être sincère, le maître d’école accusé d’être un monstre pour avoir guidé la main du petit garçon qui apprend à écrire, le migrant apprenti maçon insulté par la racaille devant un corps professoral qui ne sait plus à qui donner raison quand le Front National monte.
Un trait commun à toutes ces nouvelles au-delà de la forme et de la maîtrise de l’art narratif ? C’est sans doute cette façon de traquer le moment où la grandeur d’âme s’abîme dans le pathétique de l’incarnation, de la modernité, du monde humain trop humain. C’est ainsi que les récits sont émaillés de petites queues de poisson, de culs-de-sac, de pirouettes… et c’est aussi dans l’art de décevoir que les auteurs nous amènent à goûter toutes ces petites humiliations humaines. Le ridicule de tout raisonnement, de tout discours, et de tout esprit de sérieux jaillit. Les novellistes traquent ce moment où l’idéal butte sur notre carcasse, les objets. Le réel c’est quand on se cogne disait Lacan. Judith Wiart et Frédérick Houdaer nous donnent des nouvelles du réel, dures comme le bois, donc un peu tendres aussi.
Maximilien Friche, Le Bien Commun
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